CERISY SEPTEMBRE 2004 (A GREEN) .
AMÉNAGEMENTS DU CADRE.
R ROUSSILLON.
La question de l’aménagement du dispositif-analysant est l’une des grandes questions actuelles de la pratique des psychanalystes, l’un des lieux où s’affrontent les tenants d’une psychanalyse réputée « pure » et intacte qui maintiendrait indéfiniment identiques les paramètres premiers de son exercice et exclurait de celui-ci tous ceux qui ne peuvent l’utiliser sous cette forme première, et ceux qui à l’inverse pensent que le dispositif-analysant doit être conçu et adapté en fonction des besoins des cliniques singulières auxquelles il s’affronte.
Pour ces derniers, parmi lesquels se situera ma réflexion, la question du dispositif analysant est le lieu d’une inflexion paradigmatique de la définition première de la pratique psychanalytique et du rapport de celle-ci au cadre originaire de la psychanalyse, inflexion paradigmatique qui engage la désarticulation potentielle de la définition de la psychanalyse et de l’utilisation de son dispositif originaire. Autrement dit dans cette conception un travail psychanalytique est concevable en dehors du dispositif divan-fauteuil, sans recevoir l’appellation, alors péjorative, de « psychothérapie ».
On sait que la plupart des sociétés de psychanalyse souhaitent maintenir, au moins au niveau de la formation des analystes car pour ce qui concerne une large partie de la pratique concrète de ceux-ci la situation est bien loin d’être aussi simple, une rectitude de définition de la pratique psychanalytique, elle réserve l’appellation de celle-ci au seul dispositif divan-fauteuil et dans des condition de fréquence définies. Mais la pratique de terrain a depuis longtemps largement débordé cette définition et les cliniciens qui travaillent au sein des familles ou auprès des groupes, ceux qui travaillent auprès des enfants n’hésitent pas se nommer « psychanalystes » et à nommer psychanalytique leur pratique. Ceux qui n’hésitent pas à « bricoler » des dispositifs spécifiques et « sur-mesure » pour s’affronter à des situations cliniques et psychopathologiques « limites » voire « extrêmes », qui aventure la pratique psychanalytique avec les sujets présentant des processus autistiques, psychotiques, anti-sociaux ou a-sociaux, considèrent eux-aussi qu’ils restent « psychanalystes » même quand ils ont lâché le cabinet privé et le divan de leur formation initiale. Les terrains sont-ils, comme c’est souvent le cas, en « avance » sur les institutions officielles de la psychanalyse ? Les différents « bricolages » de dispositifs-analysant méritent-ils toujours l’appellation de psychanalytique. Jusqu’où peut-on aller trop loin dans le « bricolage » du dispositif-analysant, à partir de quel moment l’appellation de psychanalytique devient-elle abusive ? Les questions sont là, posées dans le siècle, elles ne peuvent être balayées d’un revers de manche dédaigneux par les tenants d’une psychanalyse qui se voudrait épurée et seule « vrai ». À cette aulne là remarquons d’ailleurs que la plupart des analyses conduites par Freud, Ferenczi ou même Abraham, n’auraient pas mérité l’appellation de psychanalytique. Mais l’important est ailleurs, nous n’avons plus le choix, les réalités de l’exercice concret d’une grande majorité des cliniciens de la psychanalyse force à envisager la question de « variations » de dispositif comme un numéro spécial de la revue française de psychanalyse les appelaient.
Aménagements, variations, ajustement, les qualificatifs se cherchent encore pour désigner le « jeu » avec le dispositif-analysant qui paraît être requis pour l’analyse de certains sujets, mais la question est là, elle s’impose à nous, et plutôt que de la laisser se traiter de fait et en silence, il me semble qu’il est plus opportun de considérer comment elle peut être « psychanalytiquement » posée.
Il me semble que nous sommes arrivés à un point où il faut engager la réflexion, non plus sur « le » dispositif psychanalytique, considéré alors comme le seul et unique dispositif analysant digne de ce nom, mais sur « les » dispositifs-analysants considérés dans leur variété. Le dispositif psychanalytique originaire n’apparaissant plus alors que comme un cas particulier, même s’il est particulièrement heureux et pertinent, d’une forme plus générale au sein de laquelle une pratique psychanalytique peut être produite.
On l’aura compris c’est une théorie générale des dispositifs analysants que j’appelle de mes vœux et à laquelle je cherche à apporter une contribution. Une méta-théorie qui, s’étayant sur ce que nous avons déjà compris du dispositif premier de la psychanalyse, pourrait chercher à dégager un certain nombre de « règles » ou d’analyseurs généraux, de méta-principes de « bricolage » des dispositifs-analysants.
Mais une telle entreprise appelle aussi une position préalable sur ce qui doit être considéré comme le paradigme fondamental du travail psychanalytique, sur les enjeux de celui-ci. Seule en effet une telle position peut permettre d’essayer de penser la fonction psychanalytique du dispositif-analysant au sein duquel elle se pratique.
Depuis de nombreuses années, j’ai trouvé dans la célèbre formule de Freud de 1932 « Wo es war soll ich verden », le vecteur et le prescriptif qui me permet de penser l’enjeu du processus fondamental du travail psychique et, partant du travail psychanalytique. Exprimé dans les termes français qui me paraissent cerner au mieux l’orientation donnée ainsi au travail psychanalytique j’appelle travail d’appropriation subjective cette transformation du « es » en « ich », du « Ça » en « moi-sujet ». Cependant ce premier repère ne me suffit pas. Il existe des formes d’appropriation subjective qui restent prises dans des formes de liaisons non-symboliques, elles représentent bien l’effort du sujet pour s’approprier un pan de son histoire subjective mais au prix d’un coût exorbitant qui grève sa vie et ses capacités de plaisir. Si l’appropriation subjective vectorise bien toujours le travail psychique, elle ne s’effectue pas toujours dans des conditions qui rendent possibles une liberté d’être suffisante. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’ajouter que le type d’appropriation subjective que la pratique psychanalytique cherche à développer est celle qui est aussi fondée sur la symbolisation de l’expérience subjective. La symbolisation apparaissant alors comme la voie royale par laquelle la réflexivité psychique (terme que je préfère à celui de prise de conscience, trop restreint et en partie inadéquat à son objet) peut se développer et étayer l’appropriation subjective.
Une fois formulée cette théorie de l’enjeu de la pratique psychanalytique, la fonction psychanalytique du dispositif-analysant s’éclaire et se simplifie. Si l’appropriation subjective par la symbolisation représente le « but » du travail psychanalytique, alors le dispositif doit pouvoir « symboliser » celui-ci, il doit pouvoir symboliser lui-même « en acte », « en fait », dans sa construction même et son utilisation, le travail d’appropriation subjective par la symbolisation.
Le dispositif doit pouvoir « symboliser la symbolisation », la libre symbolisation comme la contrainte à la symbolisation qui est celle de la vie psychique. Il doit pouvoir « symboliser la symbolisation » pour le sujet qui s’y engage, il doit pouvoir être utilisé pour « symboliser la symbolisation » de son histoire subjective. C’est là la règle générale de tout aménagement, de toute variation, de tout ajustement du dispositif, son sens est subordonné au fait de « bricoler » un dispositif susceptible de symboliser la symbolisation pour ce sujet-là, susceptible d’être utilisé par ce sujet dans cet objectif. S’il est clair qu’allonger un enfant sur un divan et lui demander d’associer librement n’est pas adéquat à ces capacités de symbolisation, et crée une situation qui n’est pas « analysante » car elle n’est pas « utilisable » pour symboliser, alors ce dispositif n’est pas adéquat pour cet enfant. L’exemple est volontairement caricatural, mais il n’en est pas moins exemplaire. C’est le mérite de M Klein, d’Anna Freud et des pionnières de la psychanalyse d’enfant d’avoir compris que l’analyse d’enfant était possible si l’on prenait en compte les conditions concrètes de la symbolisation pour les enfants, si l’on admettait qu’une large partie de celle-ci ne pouvait pas encore se transférer dans l’appareil de langage verbal et qu’il fallait accepter d’utiliser les modes de communication et de symbolisation en cours dans sa vie psychique, des modes de symbolisayion qui sétayent sur la perception et la motricité. Quand G Haag conçoit un dispositif spécialement adapté aux enfants autistes c’est le même principe qui prévaut : reconnaître la spécificité des modes de symbolisation émergent de l’enfant et créer le dispositif ad hoc pour optimiser cette émergence. La prise en compte des processus psychotiques et d’une large partie de l’expérience subjective non-verbale des sujets réputés psychotiques, conduit de la même manière à accepter certaines modalités de production d’objets, écrits, tableaux, modelages, mais de certaines modalités d’acte, de comportement, voire d’interaction comme vecteurs acceptables d’une tentative de mise en forme symbolique. Dit en d’autres termes, il y a un transfert spécifique qui se joue sur le dispositif, et qui ne peut simplement être considéré que comme un déplacement du transfert central sur l’analyste. Sur le dispositif se transfère le rapport du sujet à la symbolisation, je dirais même encore plus précisément, le transfert de l’histoire du sujet dans son rapport à la symbolisation, histoire de ses réussites, histoire de ses aléas, voire histoire de ses traumatismes spécifiques. Et c’est en fonction de ce transfert que le dispositif est « utilisable » pour un sujet donné.
Bien sûr ce transfert est « interprétable », il est « aussi » interprétable, mais pour autant que le dispositif ait pu rendre possible une telle interprétation c’est-à-dire qu’il puisse quand même être utilisé. Ce n’est pas toujours le cas, et interpréter le transfert sur le cadre et le dispositif là où il apparaît comme pure répétition d’une zone traumatique ne permet guère la plupart du temps une appropriation subjective des enjeux transférés, l’interprétation est alors reçue comme une violence qui s’ajoute à celle de la situation. Le dispositif doit symboliser la symbolisation « pour » le sujet et pas seulement pour l’analyste ce qui implique un certain nombre de conditions du fonctionnement psychique.
Pour rendre pleinement intelligible ce que je propose comme une première « règle » de la question de l’aménagement ou de l’ajustement du dispositif, je voudrais revenir sur la formulation de la règle fondamentale que Freud propose, ou plus exactement sur la métaphore qu’il propose pour faire comprendre comment « utiliser » la situation psychanalytique.
Tout le monde connaît cette formulation « imaginez que vous êtes dans un train et que vous décrivez le paysage qui défile devant vos yeux à un auditeur qui ne le voit pas ». On peut gloser sur la présence du « train » dans cette métaphore et bien sûr inscrire cette formulation dans les caractéristiques du défilé de l’histoire singulière de Freud « Matrem nuden », « Aliquis », « Signorelli » et autres souvenirs, oublis, et lapsus de son fonctionnement psychique. Cela n’aurait ici que bien peu d’intérêt et risquerait même de nous faire passer à côté de l’essentiel. Je préfère donc prendre la métaphore à son meilleur pour « déplier » le jeu qu’elle nous propose. Freud présente un double, voire triple, transfert intrapsychique. Tout d’abord il faut supposer que le train roule, c’est-à-dire que la pulsion « pulse », qu’elle produit un mouvement psychique et cela profile un premier transfert, disons du champ pulsionnel dans le champ moteur, dans le champ de l’affect qui meut. Ensuite, le mouvement moteur qui affecte la psyché est transformé en représentation visuelle par le mouvement même, c’est la seconde transformation proposée par le dispositif. Enfin, les images visuelles sont elles-mêmes « traduites », dirait Laplanche, je préfère dire « transférées» ou encore, le terme est de Freud, « transposées » dans l’appareil de langage verbal.
Exprimé ainsi, il apparaît que la métaphore de Freud « retrace » une série de transformations psychiques, intrapsychiques, qu’elle suppose ces transferts, qu’elle les postule pour une bonne utilisation de la situation psychanalytique qu’il organise. C’est dans cette ligne que A Green a souligné que la situation supposait donc aussi un « transfert sur le langage ». Et, poursuivant sa réflexion, j’ai proposé de considérer que l’appareil de langage lui-même était infléchit et qu’il prenait alors souvent la forme d’un appareil d’action (agieren) d’action par et dans le langage, et potentiellement grâce au travail psychanalytique, un appareil de jeu. Il revient à A Green d’avoir aussi souligné combien la situation ainsi proposée supposait le modèle du rêve. Les différents « transferts » que la règle propose supposent, en effet, que, comme dans le rêve la motricité soit activement suspendue, c’est la condition pour que les représentations de choses se « donnent » comme des représentations, et que la perception des représentations de choses, elle aussi, soit suspendue, ce qui permet et contraint leur transfert dans l’appareil de langage. L’absence et la suspension apparaissent alors comme les conditions de possibilité d’une « bonne » utilisation du dispositif. On saisit alors d’emblée pourquoi une telle règle est inadéquate pour les enfants. Leur mode de symbolisation ne cesse de s’étayer directement sur la motricité, comme dans le jeu, que pour s’étayer sur la perception (dessin par exemple).
Mais on imagine aussi que nombreux sont les sujets pour qui, soit du fait de leur fonctionnement mental, soit du fait des particularités des expériences subjectives qu’ils amènent à l’analyse, soit d’un mélange des deux, l’ensemble de ces pré-conditions ne peuvent être rassemblées.
En 1938 quand, vers la fin de « Construction en analyse », Freud revient sur les conditions de déclenchement des délires et hallucinations, il évoque des expériences subjectives qui précèdent l’apparition et l’utilisation de l’appareil de langage. C’est là l’une des grandes questions actuelles de la psychanalyse des souffrances narcissiques-identitaires, elle suppose que l’analyse puisse être portée aussi sur des expériences subjectives qui ont précédées l’émergence de la parole, sur les conditions d’un sexuel premier se développant largement hors du système de symbolisation de la parole. Bien sûr, on peut imaginer que certaines de ces expériences primitives ont été secondairement reprises et réinterprétées après-coup dans les termes de la symbolisation langagière, que « l’archaïque » étant aussi de tout temps, les expériences premières ont aussi été présentes dans les expériences subjectives plus tardives et donc potentiellement symbolisées ou reliées au langage.
Je ne suis pas loin de penser que la place actuelle dévolue à l’affect et au lien affect-représentation, porte la trace directe de la manière dont la psychanalyse essaye de répondre à ce type de question. L’affect est en effet le premier « langage » utilisé par le bébé, c’est le langage par excellence des expériences précoces. Le jeu accordage-désaccordage de l’affect et des formes de la représentation reprend la manière dont non seulement la psyché s’est défendue tardivement en dissociant le lien entre des deux modes de représentance de la pulsion, mais aussi de l’exigence de travail imposé à la psyché du fait de la nécessité d’inscrire des expériences précoces et de les lier et de les intégrer à l’aide les formes de la représentation verbale. Une partie des expériences pré-verbales a ainsi pu être secondairement et après-coup « transférée » dans des modes de représentation dont le langage verbal est l’organisateur. Mais il faut aussi admettre, la clinique de la souffrance narcissique-identitaire nous contraint à le faire, qu’un certain nombre de ces expériences subjectives n’ont pas pu être ainsi reprises et inscrites après-coup, en particulier du fait des modes d’enkystement narcissique primaire et des différents modes de fixation post-traumatique. Ces reliquats, non intégrés, vont tendre à échapper à la liaison par et dans les représentations de mot, ils vont venir se mêler au transfert sur la parole et déborder les capacités de celui-ci, en se présentant comme des modes de présence des motions pulsionnelles qui « attaquent » les données de la situation analysante. Ainsi des modes de « communication primitive » selon le terme proposé par J MacDougall, vont-ils se présenter dans le transfert en utilisant la « monnaie » ancienne qui avaient cours « de leur temps » et les formes d’expressions primitives. Certaines formes de représentant psychique de la pulsion, forme de représentance qui précède la différentiation de l’affect et de la représentation, vont envahir la situation analysante de leur impact passionnel, produisant, à l’avenant, des manifestations somatiques, des formes de comportement, qui vont prendre la forme de messages passant par l’acte et l’interaction.
Dit dans les termes de la métaphore utilisée par Freud, certains éléments moteurs ne se transfèrent pas dans le champ visuel et ne produisent pas des représentations de choses visuelles, et certaines représentations de chose ne se transfèrent pas dans l’appareil à langage, les analysants viennent faire sentir ce qu’ils n’arrivent pas à sentir ou représenter, ils viennent faire voir ce qu’ils n’arrivent pas à dire.
Ces modes de communication primitifs se présentent au sein de la situation analysante divan/fauteuil comme des « attaques » du cadre de celle-ci et de ses prescriptifs. Ce processus se produit dans toute analyse, il met à l’épreuve les capacités de « survivance » du dispositif et de l’analyse, et celle-ci représente un des leviers de l’analyse des problématiques narcissiques. Mais parfois il atteint une telle intensité que l’analysant ressent avec terreur ces manifestations et « gèle » son expression et le processus analytique, l’analysant se soumet au dispositif, mais l’analyse n’a pas lieu ou le processus n’est pas appropriable, ou alors il engage des formes de « transfert délirant » (M Little) ou encore de « folie privée » (A Green) qui menacent, voire rendent impossibles, les conditions d’un travail psychanalytique dynamique. On peut encore dire, en d’autres termes, que les analysants réagissent de manière « traumatique » aux transformations du fonctionnement psychique que le dispositif implique, ou encore qu’ils viennent « transférer » sur le dispositif un pan de leur histoire traumatique, de l’histoire de l’échec de certaines capacités de symbolisation, des traumatismes que leur fonction symbolisante a pu connaître. Peut importe le mode de théorisation finalement retenu, l’important est que la situation analysante divan/fauteuil apparaît comme inadéquate ou même comme une répétition traumatique.
C’est dans ces cas que la question d’une variation, d’un aménagement ou d’un ajustement du cadre se pose. On peut en effet imaginer tenter de poursuivre l’analyse en maintenant, coûte que coûte, les conditions originaires de l’analyse. Le prix étant d’ailleurs souvent principalement payé par l’analysant. Ou se décider à modifier suffisamment le dispositif pour que, ce qui apparaissait comme attaque du cadre, puisse prendre la forme d’une forme de communication primitive acceptable. Je me souviens d’un psychothérapeute d’enfant qui me parlait amicalement d’une consultation avec une petite fille à qui il avait proposé un squiggle game. Dès la première tentative, la petite fille jette le crayon par terre. Le psychothérapeute commente : « elle attaque d’emblée le cadre ». Je pense « ou bien elle joue à un autre jeu », le cadre proposé est utilisé pour « jouer à la spatule ». Mais le jeu de la spatule, quand c’est le squiggle game qui est prévu, « attaque » le dispositif. Ensuite on peut être tenté d’interpréter la destructivité de l’enfant, son intolérance à la frustration ou que sais-je encore ? Ou bien se dire que le dispositif n’est pas celui qui convient, et qu’il faut chercher à aménager la situation de façon que l’on ne soit pas toujours en train d’interpréter comme une « attaque » ce que le patient y introduit. L’interprétation de la destructivité est importante, mais elle n’est pertinente que lorsqu’on s’est assuré que le dispositif proposé est bien le dispositif adéquat. Le dispositif fait partie du contre-transfert, il est ce qui du contre-transfert peut-être dépotentialisé, immobilisé, ce qui peut être fixé et doit être fixé pour qu’une situation analysante, pour ce sujet-là, puisse être proposée. S’il est nécessaire, le dispositif ne doit pas pour autant être « tabouisé » ni fétichisé, il n’est là que pour venir faciliter l’analyse, que pour l’étayer, la rendre possible. S’il représente une gène pour le processus, on n’imagine pas bien au nom de quoi il serait maintenu « à tout prix ».
Les variations, aménagements ou ajustements du dispositif sont sans doute assez variés et, si ce n’est infinis, on peut en imaginer de très nombreuses formes. Chaque variation présente des intérêts mais aussi des inconvénients, le dispositif représente toujours une forme de « confort » que l’analyste se donne, qu’il se donne pour l’analyse. Mais le « confort » se paye toujours d’un prix, et le dispositif divan/fauteuil n’échappe pas à cette règle, pas plus que n’importe quel dispositif, « seule la mort est pour rien aime » à rappeler Freud ». La question n’est donc pas d’imaginer ou de bricoler un dispositif qui ne présenterait que des avantages, la question est d’imaginer un dispositif qui présente plus d’avantages que d’inconvénients pour l’analyse, qui optimise les données de la situation et les capacités de symbolisation de la situation analysante proposée.
S Ferenczi, qui a sans doute été, après Freud, le premier grand « explorateur » de dispositifs analytiques, propose le principe selon lequel le dispositif mis en place ne doit pas reproduire les conditions du traumatisme historique du sujet, il ne doit pas répéter la zone traumatique de la vie psychique. Si l’on entend par traumatisme l’évènement ou le mode de relation que le sujet a échoué à symboliser, ce principe semble aller de soi. Mais on imagine qu’en pratique la chose se présente de manière plus complexe. Quand une analyse est engagée, on est loin de savoir d’avance ce qui sera traumatique pour cet analysant-là. Par ailleurs, sans répétition pas de transfert, et sans transfert, on ne peut concevoir d’analyse. Il est donc sans doute inévitable que le dispositif « répète » d’une certaine manière le traumatisme, qu’il appelle le transfert du traumatisme, qu’il permette de le « rencontrer » pour l’analyser. Pour rendre efficace la proposition de Ferenczi il faut donc la relativiser, et penser que le dispositif doit essayer autant que possible de maintenir les conditions de l’analysibilité du processus qui vient à s’y inscrire, et donc qu’il modère autant que tolérable les aspects inutilement traumatiques du dispositif.
A Green, de son côté, a proposé le principe selon lequel l’analyste doit tenter de fournir au transfert la « réponse » qui aurait dût être celle de l’objet historique, il centre ainsi la question sur l’attitude analytique qui optimise les capacités de symbolisation du sujet, sur celle qui respecte le mieux ce dont il est capable à un moment donné de l’analyse.
On pressent bien avec ces deux premiers repères, que l’on ne peut vraisemblablement pas aboutir à des « recettes » pour un bon aménagement du cadre, et que celui-ci engage toute la conception de l’analyse de l’analyse, voire tout son art. On pressent que l’ajustement de la situation est, d’abord et avant tout, une affaire ou la prise en compte des données du transfert et de la manière dont celles-ci conduisent le sujet à « interpréter » le dispositif et les interventions de l’analyste, est essentielle.
Il me semble que Winnicott propose un concept qui, sans régler la question, permet de l’éclairer un peu mieux encore. Il souligne que si la frustration du désir est une chose indispensable à la symbolisation, par contre on ne doit jamais frustrer un sujet concernant les besoins de son moi. Comme à son habitude Winnicott ne définit pas ce qu’il faut exactement entendre par « besoin du moi », mais il me semble que l’on peut combler cette lacune en avançant que les « besoins du moi » concernent tout ce dont le sujet a besoin pour effectuer son travail de symbolisation et d’appropriation subjective de son histoire vécue. C’est-à-dire que l’on suppose que la symbolisation et l’appropriation subjective ne peuvent s’effectuer sans pré-conditions concernant ce que l’entourage ou l’environnement doit fournir pour les rendre possibles.
Une telle proposition peut fournir le point de départ d’une véritable méta-théorie des dispositifs analysants, mais elle appelle d’emblée deux remarques.
La première est qu’elle nous met devant la nécessité d’explorer plus complètement quels sont les besoins du moi et à quels niveaux ils jouent. On peut bien sûr aller assez vite à l’idée que le travail du moi requiert un pare-excitation suffisant et en même temps un investissement non moins suffisant. On situe ainsi des besoins sur un plan économique, sans doute le plus aisé à penser si ce n’est à mettre en œuvre. La tâche consistant à repérer les besoins qualitatifs est déjà beaucoup moins aisée. J’ai essayé, en explorant les propriétés du « médium malléable », d’en cerner un certain nombre, ma dernière exploration de la question en dégage onze différentes qui peuvent fournir un point de départ à un repérage des besoins « qualitatifs » du moi. Je ne souhaite pas reprendre ici cette exploration, mais plutôt souligner qu’elle se heurte à une difficulté majeure qui est celle de la différenciation du registre du désir et de celui du besoin et ceci précisément dans les conjonctures cliniques où la question de l’aménagement se pose particulièrement.
Cette distinction, dont on sait combien elle paraissait essentielle à J Lacan, est en effet loin d’être évidente dans la clinique concrète. On sait que, par exemple, la confusion des deux registres est un véritable trait clinique des problématiques narcissiques, c’est aussi l’un des drames de la vie de nombre de nos analysants, soient qu’ils traitent certains de leurs besoins comme des désirs qui doivent être masochiquement frustrés, soit, à l’inverse, que leurs désirs se donnent comme des besoins et avec l’impérativité de ceux-ci. On peut d’ailleurs dire que c’est bien l’enjeu d’une partie importante du travail psychanalytique, que précisément en affiner la distinction, et que d’ailleurs celle-ci reste relative et variable selon les moments de la cure. Il est clair par exemple que, pendant certaines phases de l’analyse, ne rien expliciter les raisons qui nous font intervenir en tant qu’analyste de telle ou telle manière, ou maintenir telle ou telle particularité de la situation analysante, revient à frustrer un véritable « besoin » chez nos patient et à disqualifier une partie de leur activité psychique, là où, plus tard et les choses ayant évoluées, répondre de la même manière revient à apporter une véritable gratification libidinale qui freine le travail de symbolisation du manque.
Désir et besoin ne sont pas des « en soi » intangibles, au moins en partie, car il y a quand même quelques donnes « objectives », mais des catégories subjectives qui varient en fonction de l’état de déploiement de la vie subjective, en fonction du sens. Et le sens n’est pas une donne elle non plus intangible. Je rappelle la définition que Freud en donne en 1916 dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse : « Par le sens nous entendons la place qu’occupe un élément dans la série psychique et la fonction qu’il sert dans celle-ci ». Le sens est relatif, relatif au temps, relatif à la place qu’occupe un élément dans la série psychique, j’ajouterais à la place et la fonction qu’il sert dans le transfert.