THÉORIE DU DISPOSITIF CLINIQUE.
Nous sommes maintenant en mesure d’avancer une série de propositions pour une théorie générale des dispositifs cliniques utile pour « bricoler » un dispositif clinique ad hoc aux variétés de situations cliniques et aux types de rencontres cliniques qu’elles imposent. Une telle théorie vise à permettre aux cliniciens de penser les dispositifs qu’ils ont été amenés à organiser, du fait des particularités des sujets auxquels ils sont confrontés. Une telle théorie ne permet pas d’inventer quel dispositif est ad hoc pour tel sujet, mais elle permet d’essayer de comprendre quel « langage » le dispositif tient au sujet qu’il accueille, et permet de penser les caractéristiques du dispositif proposé, en donnant quelques principes « analyseurs » des aspects déterminants des dispositif cliniques. En d’autres termes un dispositif, pour être « clinique » doit respecter certaines conditions, sa construction et son instauration impliquent un certain nombre de règles, de « méta » règles.
Un dispositif attracteur, condensateur, révélateur.
La construction ou mieux donc le « bricolage » d’un dispositif clinique doit obéir à un certain nombre d’impératifs qui en définissent non seulement la fonction mais aussi l’heuristique. Un « bon » dispositif est d’abord un dispositif qui, au plus près de l’adéquation « sur mesure » à un sujet donné, doit remplir un certain nombre de fonctions destinées à faciliter le travail clinique et son appropriation subjective.
Nous avons souligné l’importance dans la pratique clinique, de la nécessité que la réalité psychique en souffrance d’intégration puisse se transférer au sein de l’actualité de la rencontre clinique. Une telle nécessité implique que le dispositif clinique qui organise les conditions de la rencontre présente certaines particularités et certaines qualités relatives à ces fonctions.
Il doit d’abord être un attracteur du transfert de la réalité psychique en souffrance d’appropriation subjective, et pour cela se présenter comme suffisamment neutre pour ne pas comporter d’induction trop spécifique, si ce n’est celle d’être un espace-temps d’accueil pour celui-ci. Il suppose donc, par la règle qui le fonde et qu’il doit garantir tout au long de son office, que les mécanismes de défenses qui protègent le sujet des souffrances et difficultés liées à la non intégration de tel ou tel pan de sa vie psychique, puissent être progressivement levés. Une telle condition n’est possible que si, en plus des règles évidentes de confidentialité et de fiabilité, il se donne comme un espace de « sécurité subjective ».
S’il y a peu de travaux concernant le « besoin de sécurité », terme qui n’est pas une « entrée » des dictionnaires de psychanalyse ou de clinique psychanalytique, c’est sans doute que celle-ci va tellement de soi qu’il ne vient pas facilement à l’esprit de l’évoquer, et pourtant il s’agit bien d’une condition fondamentale de la rencontre clinique.
Cependant la « sécurité » ne se décrète pas, elle se conquiert progressivement et au fur et à mesure qu’elle est éprouvée dans et par les réponses du clinicien à ce que le sujet engage dans la rencontre, dans les différentes « mises à l’épreuve » de celle-ci et de sa profondeur dont la poursuite de la rencontre clinique va être régulièrement jalonnée. Car il y a différents niveaux de « sécurité » selon l’importance et le caractère plus ou moins « vital » pour le sujet de ce qu’il engage. Il n’y a aucune raison a priori d‘accorder une totale confiance à un clinicien que l’on découvre, et ceci même si une certaine confiance préalable est probable s’impose ou même si le présupposé de tout engagement clinique est une confiance préalable pour commencer tout engagement clinique. Plus exactement, s’il y a un certain niveau de confiance consciente, celle-ci est en grande partie battue en brèche par les enjeux inconscients qui se mêlent inévitablement à la rencontre clinique. Ces derniers ne seront élaborés que par des « questions de confiance » plus ou plus consciemment mises en œuvre tout au long de la rencontre et qui passent par des « mises à l’épreuve » régulièrement répétées de celle-ci et du sentiment de sécurité qui lui est intrinsèquement lié.
Mais néanmoins une partie du dispositif doit concourir ? à tenter de signifier d’emblée le souci de cette sécurité ? – et rien ne peut être entrepris qui puisse la menacer – : elle se présente (ou on la présente) comme une donnée de la situation, l’un de ses fondements, voire comme l’un de ses impératifs catégoriques,
La question s’avère particulièrement cruciale dans les institutions de soin qui comportent parfois dans leur contexte global de fonctionnement certaines prises de décisions concernant le sujet (hospitalisation, autorisation de sortie, suivis judiciaire etc.). Il peut être d’ailleurs déterminant dans certaines situations (par exemple dans les prescriptions de soins judiciaires) de rappeler ce qui peut être garanti de la confidentialité et ce qui ne peut l’être.
Mais fondamentalement la question de la sécurité est d’abord affaire de rapport intersubjectif, elle concerne le respect d’un « contrat symbolique » qui suppose d’abord, mais pas seulement bien sûr, le fait d’être écouté sans jugement de valeur, sans a priori idéologique ou autre, d’être écouté sur fond d’empathie et de suffisante bienveillance. Nous reviendrons sur le « contrat symbolique » plus loin.
Mais il faut aussi que le dégagement de la valeur transférentielle du processus engagé, que sa « symbolisation », entraîne les effets de conviction nécessaires au changement et à l’appropriation subjective, et ceci suppose que le dispositif rende possible une intensité suffisante des phénomènes transférentiels : le dispositif doit donc aussi être un condensateur des processus transférentiels, tel qu’il leur permetd’atteindre une intensité suffisante pour convaincre le sujet de l’importance des processus mis en jeu. On a pu ainsi dire que le dispositif clinique était une forme de « chaudron » pour les processus de transfert, qu’il visait à intensifier ceux-ci pour leur donner la consistance nécessaire à l’expérience subjective du « vrai ».
Cependant il ne suffit pas que le dispositif soit un attracteur et un condensateur du transfert, il faut aussi qu’il contribue à en être le révélateur, le révélateur de sa dimension « inactuelle », c.-à-d. précisément transférentielle. Ceci suppose qu’il soit organisé non seulement de façon à accueillir les manifestations du transfert mais qu’il puisse contribuer à les mettre en évidence, à en démentir l’actualité, c.-à-d. ne pas entrer en connivence objective avec lui. Pour cela il doit être organisé de telle façon que le processus transférentiel apparaisse comme tel, c.-à-d. comme reproduction, nouvelle édition, dans la situation clinique, d’une situation passée. Cela suppose un certain nombre de conditions que nous allons décrire plus bas, en particulier que le dispositif ne soit pas trop inducteur d’une forme particulière de processus transférentiel, ou du moins que le type d’induction produit soit suffisamment repéré et, en cas de besoin, explicité en fonction de la logique clinique de la situation.
Avant de commencer à proposer un certain nombre d’« analyseurs » des dispositifs cliniques, quelques questions à « poser » à un dispositif pour l’analyser ou le bricoler quelques rappels semblent indispensables.
1) Rappel sur les conditions de la rencontre.
L’existence d’un point de souffrance, d’un pan de la réalité psychique du sujet « en souffrance » d’appropriation subjective et de symbolisation, qui est à l’origine de la rencontre clinique, en appelle à un Sujet Supposé Savoir (J. Lacan) ou entendre (A. Green), ou encore voir, sentir, comprendre, partager, ce que nous avons appelé plus haut un « répondant » …
Telle est, comme nous l’avons déjà vu, la première forme de l’appel transférentiel. Elle conditionne la manière dont la « réponse » et toutes les interventions et manifestations du clinicien vont être entendues. Elles sont entendues « dans le transfert », c.-à-d. sur fond de la question posée au clinicien et du réseau d’attentes conscientes et inconscientes qui lui sont sous jacentes, et cela le clinicien n’y peut rien car cela ne dépend pas de lui mais du transfert du sujet. Cela définit le fond de suggestion (séduction, influence) inévitable de la rencontre clinique liée à l’existence du transfert.
L’existence de l’INB du clinicien va constituer le fond de sa réponse, la manière dont il est lui aussi sous « la suggestion, la séduction ou l’influence » du sujet. Là encore cela ne dépend pas de lui mais des conditions de la rencontre et de l’adresse de la demande ou de l’appel.
Le devenir du transfert et de la réponse du clinicien au transfert, par contre, vont dépendre de la manière dont la rencontre va être organisée, c’est-à-dire aussi de l’organisation du dispositif clinique.
La proposition du dispositif clinique est la première « réponse », la plus fondamentale, elle porte donc un « message » adressé au sujet concernant le transfert potentiel. Ce « message » est le suivant : le clinicien tend à se retirer[1] du devant de la scène pour proposer une « méthode », la méthode clinique et le dispositif afférent, mais la réponse par le dispositif le « dit » en « chose » en « acte » là où la règle le dit en mot.
Tentons maintenant d’aller plus loin pour « faire parler » le dispositif, tel qu’il se présente dans les rencontres cliniques « standards » ou « classiques ».
La « réponse » du clinicien comporte deux propositions exprimées en des langages différents : d’une part la méthode de l’association libre formulée en mots et qui « dit », d’une manière ou d’une autre, que le sujet peut exprimer « tout ce qui lui vient à l’esprit, sans censure morale ou sociale mais aussi sans censure logique » ou toutes les variantes apparentées inventées à l’avenant des dispositifs cliniques concrets et de leur forme. Nous verrons plus loin que cet énoncé s’accompagne d’un projet de transformation du fonctionnement de l’appareil psychique, et qu’il comporte des aspects de « suggestion, de séduction et d’influence », précisément d’abord par la prescription d’une levée des censures et défenses, qu’il retourne les conditions de la séduction en un prescriptif surmoïque avec lequel le clinicien et le sujet vont devoir composer.
Mais la règle dit aussi comment le sujet sera écouté / vu / senti : la « règle » implique que si deux idées ou items non verbaux se suivent, ils ont nécessairement un lien (cf. le lien associativité / transfert déjà évoqué). Là encore cela ne signifie pas que l’analyste veut séduire, suggérer ou influencer le sujet, mais que l’existence du transfert comporte inévitablement cette dimension et que le clinicien ne peut pas se dire simplement « innocent » de cet aspect de la rencontre, l’existence du transfert « compromet » (Laplanche) les énoncés du clinicien.
D’autre part la méthode formulée en « chose », en « fait » dans la proposition d’un dispositif particulier. Le dispositif « parle », il tient un langage qui est celui des représentations de choses, des « représentactions » (J.D.Vincent), ou plutôt il est inévitablement interprété comme portant un message. Il « représente » la rencontre clinique par des effets de position, de « posture », par ce qu’il facilite ou interdit « de fait ». Mais de la même manière que la règle peut être entendue comme règle de l’association « libre », ou comme forme de la séduction, par la levée des interdits et censures, le « langage du cadre » ouvre à des ambiguïtés, il ouvre à la nécessité d’une symbolisation et donc d’une interprétation, aussi bien par le sujet que par le clinicien. Nous reviendrons aussi plus loin sur ce point.
Je rappelle ce que j’avais avancé plus haut : la rencontre clinique se caractérise par l’activation et l’intensification de l’engagement de la réalité psychique chez le sujet : c’est son « droit au transfert ». Son pendant est l’intensification de la sensibilité et de la réceptivité à l’INB du côté du clinicien et l’effet retour de cette intensification sur la relation. Toute la question de la pratique clinique va se jouer dans les systèmes de régulation alternatifs qu’il va falloir mettre en place comme substitut des systèmes de régulation sociaux habituels. En particulier la mutation de la question de la réciprocité dans celle de la réflexivité par la symbolisation.
L’objectif de la rencontre clinique peut alors se formuler ainsi :
La spécificité de la « réponse » clinique à l’engagement de la réalité dans le transfert, et donc à l’INB qui s’y développe, va être d’aider le sujet à développer la réflexivité et les processus auto-méta : se sentir, se voir, s’entendre et ceci par le biais du développement des processus de symbolisation.
Mais un tel objectif suppose un « contrat symbolique » particulier dont le dispositif clinique donne une première approche, (la seconde est donnée par la disposition d’esprit spécifique du clinicien que nous avons examinée dans un chapitre précédent). Le dispositif clinique est la structure « d’encadrement » de l’INB (et du « contrat narcissique » et « symbolique » qu’elle implique), spécifique de la situation clinique, il est la structure proposée pour venir étayer le travail de symbolisation proposé comme modalité principale de régulation de l’INB dans la rencontre clinique.
Je propose maintenant une première approche des données et particularités du « contrat symbolique » qui organise la rencontre, à partir de quelques propositions fondamentales qui reprennent, de manière un peu systématisée, l’essentiel des propositions que nous avons élaborées dans nos réflexions précédentes.
1) Le cadre symbolise la symbolisation, il « doit » symboliser la symbolisation.
Le dispositif doit donc incarner l’élaboration et la symbolisation, la montrer, y inviter. Il doit présenter de fait les conditions de possibilités, les moyens et outils qu’il propose, et spécifier, par leur « présentation », les objets ou dispositions grâce auxquels elle pourra avoir lieu. Il met en acte la disposition d’esprit qui en commande l’instauration, c’est « un fait exprès » pour la métabolisation symbolique des expériences subjectives, c.-à-d. leur symbolisation. Tout dans le dispositif doit être construit, et ordonné à cet usage : dire en « chose » la symbolisation et ses conditions dans cette rencontre clinique là, la dire « en fait », « en acte ».
Cependant, il doit dire la symbolisation pour ce sujet-là et donc il implique un « sur-mesure » pour lui, ce qui ouvre la question des aménagements éventuels, il doit être, selon une métaphore que nous éclairerons par la suite « à domicile ». Ceci veut dire que dans certaines circonstances, et selon les besoins psychiques du sujet (cf. plus loin le chapitre sur les besoins du moi), on peut introduire des médiations facilitatrices du processus de symbolisation, voire de ses premières formes sensori-motrices d’émergence, qu’il peut y avoir des préalables, ce qu’on appelle des aménagements et qui sont en fait des formes d’accordages (D.Stern) des formes d’ajustement aux spécificités du sujet.
Si tout est ordonné à la tâche primaire du site, – la symbolisation comme condition de l’appropriation subjective -, celle-ci est l’horizon de l’organisation du dispositif, ce qui veut dire qu’elle n’est pas toujours d’emblée au rendez vous et qu’elle va parfois devoir être progressivement introduite, voire « produite ». On sait d’expérience, dans les clinique des limites voire de l’extrême, que le chemin peut être long pour qu’un travail de symbolisation appropriable puisse de fait être mis en œuvre. L’important est que cet horizon, dont le chemin n’est pas tout tracé d’avance, reste le vecteur de l’organisation concrète du dispositif.
2) Théorie de la symbolisation.
Une première conséquence de cette affirmation identitaire est que le dispositif contient une « théorie » de la symbolisation matérialisée, concrétisée, mise « en acte » dans les conditions matérielles de son exercice. Le dispositif et les règles qui en organisent l’usage « contraignent » ainsi à un mode de symbolisation qu’il privilégie. Il « apprend » de fait quelle symbolisation est acceptable ou souhaitée dans le dispositif, quel matériel est « signifiant » c’est-à-dire considéré comme « message », comme « signe », ainsi fabrique-t-il du signe, il « sémaphorise » comme nous l’avons proposé précédemment.
Par exemple dans la clinique psychanalytique « divan / fauteuil », le dispositif indique que dans la rencontre psychanalytique on symbolise en parlant et seulement en parlant, ce qui implique une restriction de la motricité et de la perception, incarnée dans la position allongée de l’analysant. Il indique une certaine manière de traiter l’absence, mise en acte dans la position « en retrait » de l’analyste, etc. et le dispositif « dit » tout cela par sa structure même.
Mais on ne symbolise pas tous de la même manière, ni de la même façon selon les âges et, par exemple pour les enfants, la motricité et la perception sont nécessaires et ne peuvent être suspendues comme avec certains adultes ou adolescents. Avec les très jeunes enfants (cf. la pratique de S.Lebovici, ou de D.W.Winnicott) il faut parfois même prévoir la présence d’un parent ou d’une personne significative pour l’enfant, l’unité de symbolisation, son « champ », n’est pas le bébé, mais le couple mère / bébé. Ou encore dans les dispositifs en « face à face » on symbolise en appui sur la présence du miroir visuel de l’autre et à l’aide de systèmes de messages non verbaux, visuels, mimo-gesto-posturaux, c.-à-d. des systèmes de symbolisation non verbaux. Nous verrons au chapitre suivant qu’avec les SDF ou certains adolescents une certaine intolérance à l’immobilisation motrice apparaît, qui n’est plus dès lors une facilitation du processus de symbolisation mais au contraire une entrave à celui-ci, et il faut alors entrevoir des modes de travail qui rendent possible une suffisante motricité. Mieux il faut envisager que certaines formes de motricité permettent l’expression ou la mise en forme de messages qui ne peuvent se manifester que par ce biais. Avec des sujets souffrant de problématiques psychosomatiques, d’autisme ou d’états psychotiques, c’est souvent à partir de la sensori-motricité, et de sensori-motricité partagées que le travail de symbolisation va pouvoir s’amorcer et soumettre de tels sujets à des modèles de la symbolisation qu’ils ne peuvent habiter créativement provoque souvent plus de processus de réaction ou de rejet d’un dispositif qu’ils sentent inadéquat pour eux que de mobilisation élaborative. Tout ceci s’éclairera mieux dans le chapitre d’exemples qui suit.
On relève ainsi différentes « théories » ou modalités de la symbolisation suivant les âges et les niveaux de capacités symbolisantes atteintes par le sujet, voire les idiosyncrasies individuelles et donc différents types de dispositifs-symbolisants inévitablement impliqués. C’est bien ce qui oblige à une théorie générale des dispositifs-symbolisants et analysants au-delà du cadre de la cure type et des dispositifs traditionnels de la pratique clinique psychanalytique.
3) La Symbolisation du dispositif et ses trois niveaux de symbolisation.
Une fois instauré, le dispositif va aussi être « symbolisé » et signifié – selon comment il va être présenté, entendu ou interprété -, de différentes manières.
Du côté du clinicien, il dit, il « veut » dire, un dispositif commode pour le travail de symbolisation et d’appropriation subjectif, il « veut » dire les conditions de possibilités de celles-ci, et aussi son soucis d’ajustement à la problématique propre du sujet :
– la plupart du temps et quand il le peut, le clinicien se fait discret, il se retire du devant de la scène, se met de côté ou se propose comme simple miroir des états du sujet, il signifie par une relative neutralité son désir de ne pas influencer la parole du sujet par ses mimiques, ses postures, sa gestuelle et tous les modes de communications « visuels » et corporels. Le clinicien s’absente de la scène, doit trouver le bon moyen de s’absenter de la scène, celle qui ne signifie pas trop l’abandon, pour creuser un espace de réceptivité à ce qui vient du sujet. Il tend à communiquer qu’il « désire » absenter son altérité singulière pour laisser la place, toute la place possible au sujet : la rencontre clinique est au service du sujet et le clinicien n’est pas là pour l’influencer d’une quelconque manière…
Mais il parle aussi, est présent et attentif, il « dit » ainsi que la symbolisation est aussi un certain mode de présence, de présence réflexive, qui passe par l’expression de soi, qu’elle soit parlée, dramatisée d’une manière ou d’une autre, dessinée, modelée etc.
– au-delà le clinicien, à travers le dispositif, « dit » les conditions de la symbolisation, il « dit » les limites nécessaires à celle-ci, « dit » ses vecteurs privilégiés d’expression, ses passages obligés, ses contraintes indispensables : contraintes de temps, de durée, d’alternance de moments de rencontre et de moment d’absence…
Enfin pour le clinicien, le dispositif « raconte » aussi une histoire qui est aussi bien celle, individuelle, de sa propre formation personnelle et la manière dont il a bénéficié de ses effets ou pâti de ses arcanes, que collective, de l’histoire de la place du dispositif dans l’histoire de la clinique et de sa fonction identitaire dans les groupements de cliniciens. S’il s’agit ici de « raisons du cadre », liées à un niveau de symbolisation secondaire, de fait elles ont aussi des implications « primaires » dans leur mise en scène ou en acte.
2 – De son côté le sujet va aussi devoir symboliser et « faire parler » le dispositif, il va entendre le « langage du cadre »[2] en fonction de ses propres processus de symbolisation aussi bien primaires que secondaires.
Ceux-ci ne sont pas exactement les mêmes que pour l’analyste.
Que « veut » dire le cadre pour le sujet ?
– Cela dépend bien sûr de son fonctionnement psychique et de ce qu’il transfère sur le cadre. Par exemple le nombre de rencontres proposées a-t-il un sens ? Est ce que cela « veut » dire que le clinicien trouve le sujet « bien malade », ou « l’aime » beaucoup et veut le voir souvent, régulièrement, qu’il s’intéresse à lui, ou au contraire qu’il le déteste tant qu’il veut le voir souffrir et « baigner » dans son jus et sa détresse, qu’il veut exercer une emprise totale sur lui etc. ?
– D’une certaine manière aussi pour le sujet le « cadre à ses raisons ». Elles sont aussi secondaires, le clinicien est un « ami » qui veut l’aider, un allié dans sa souffrance, un professionnel qui sait ce qu’il fait, un psy « formé », il « sait » ce qu’il lui faut…
Mais ce sont aussi des raisons « que la raison ignore »…
Un exemple clinique permettra d’expliciter la dialectique qui se joue autour de la symbolisation du dispositif, je l’emprunte à la psychanalyse d’un cas célèbre de Freud particulièrement explicite sur ce plan : le cas de l’analyse de « L’homme aux rats » et des premières séances. L’analyse de l’homme aux rats est une analyse précieuse dans la mesure où nous avons le détail des séances au pas à pas de celles-ci. On peut ainsi suivre les associations de l’homme aux rats en fonction de la manière dont il tente de symboliser la situation et le cadre psychanalytique.
D’emblée, dès la première séance, la situation est menacée de séduction. Le patient évoque un Dr Levi qui s’est présenté à lui comme un ami dans le but de séduire sa sœur, il poursuit en évoquant une série de situation de séduction où différentes gouvernantes l’ont laissé explorer leur intimité, mais finalement pour l’humilier ou ne le considérer que comme un petit garçon châtré. Tout cela s’entend « dans le transfert » comme on dit, c’est-à-dire comme la manière dont l’homme au rat vit et tente de signifier la situation que Freud lui propose.
Lors de la seconde séance, ainsi introduite et contextualisée par les associations de la première, le patient tente d’évoquer le fameux supplice des rats. Il ne peut mettre en mot le supplice, la représentation interne du supplice l’oblige à se lever du divan en proie à une intense émotion. Si le supplice – un homme est assis sur un bocal qui contient sur rat affamé qui ne peut sortir du piège qu’en s’enfonçant dans l’anus du supplicié et en dévorant ainsi les intérieurs de celui-ci – produit un tel effet sur l’homme aux rats c’est en raison de sa proximité avec le fantasme inconscient du patient en séance, c’est-à-dire avec sa représentation inconsciente de la situation psychanalytique.
Le bocal de l’homme aux rats « c’est » le cadre, le rat « c’est » Freud qui, par derrière, veut s’enfoncer en lui et lui « dévorer » les intérieurs par l’analyse etc.
– Entre le niveau de symbolisation secondaire, l’homme aux rats vient pour une analyse destinée à l’aider dans ses difficultés, Freud est donc un « ami » qui va l’aider etc., et
-le niveau de symbolisation primaire : Freud est un rat qui veut s’emparer de ses intérieurs avec violence,
-il y a un hiatus, un écart, une béance, un champ de tension entre les deux types de symbolisation et le sens qu’elles véhicule.
L’analyse et la rencontre clinique vont se dérouler dans cet entre deux, comme réduction progressive de la tension essentielle entre les deux niveaux de symbolisation. Par assouplissement de la symbolisation secondaire et complexification progressive de celle-ci, par élaboration progressive de la symbolisation primaire, le hiatus va progressivement être réduit et les conditions d’une « symbolisation tertiaire », intermédiaire, transitionnelle, vont se développer qui permettra au sujet de ne plus être déchiré entre deux niveaux de représentations conflictuelles et inconciliables.
– Le processus thérapeutique se joue dans cet entre deux et comme réduction de cet entre deux, de ces deux manières de symboliser le cadre et la situation clinique.
Mais la nécessité de « symboliser le dispositif » est présente dans toutes les rencontres cliniques et pas seulement dans la situation analytique ou les situations analysantes et je me souviens d’un sujet qui à la planche 10 du Rorschach, alors qu’il vient de terminer son « tour des planches » et le sait, évoque, en désignant un petit point jaune dans la planche : L.Amstrong arrivant en héros sur les champs Elysées à la fin du tour de France. Il symbolisait lui-même ainsi son propre sentiment d’exploit à avoir traversé l’épreuve projective.
4) Le dispositif « contient » une histoire.
Il est la plupart du temps, plus ou moins, le produit d’une histoire collective, comme j’ai pu le montrer en 1995 pour le cadre de la situation psychanalytique à partir du cadre de l’hypnose et du « baquet de F.A.Mesmer (R.Roussillon 1995 a et b) et il est l’émanation d’une identité collective incarnée par les sociétés et groupements de cliniciens, transmises par les formations cliniques. La symbolisation s’étaye sur les groupes sociaux.
Mais cette histoire « collective » est toujours surdéterminée ou « interprétée » par une histoire individuelle (identifications professionnelles et personnelles de l’analyste, référence au tiers et à ses particularités pour ce sujet-là, au père originaire, à la mère originaire des cliniciens et de leurs formateurs).
Il y a aussi une histoire de la rencontre clinique elle-même, de la manière dont elle s’est instaurée, et du sens que telle ou telle de ses particularités a pu prendre à un moment de cette histoire.
Cette histoire individuelle, spécifique s’incarne dans la manière dont le cadre est utilisé par le clinicien, mais aussi dans les différents objets qui forment l’entourage non analytique de la rencontre clinique (choix des objets, disposition des lieux…).
Quelques rappels de l’histoire des conceptions du cadre psychanalytique et de son rapport à la séduction.
L’existence d’une modalité de symbolisation primaire de la situation psychanaltique, tôt perçue dans l’histoire de la psychanalyse et de l’invention du cadre est inséparable de la question de la séduction et de ses formes dans l’histoire de la clinique psychanalytique. Comme j’ai pu le souligner à différentes reprises depuis mes premiers travaux sur le cadre (1988, 1991, 1995 a), toute l’organisation du cadre va être de tenter de se prémunir contre les effets de séduction, de suggestion ou d’influence du dispositif et ainsi de tenter de se démarquer des pratiques de suggestion et d’hypnose.
Dans un premier temps on a pu dire que le cadre avait été une manière de réduire les potentialités séductrices du « montrer » hystérique et de sa dramatisation en obligeant celle-ci à ne fonctionner que par la parole, on a insisté sur la séduction libidinale du « montrer » et de l’histrionisme.
Puis, la rencontre avec la question de la séduction surmoïque, en particulier dans la névrose dite de contrainte, a conduit aux modifications de la règle pour sortir des aspects contraints de la première forme de la méthode (le patient associe selon la sollicitation de l’analyste et à partir des focus que celui-ci lui propose : l’association est « focale » cf. mes développements plus haut sur les formes de l’associativité) pour ouvrir la question de l’association « libre ». Le cas de l’homme aux rats, que nous venons d’évoquer, est le premier cas conduit avec la règle de l’association libre (cf. minutes de la société de Vienne de1907).
Mais l’exemple même de l’homme aux rats montre un nouvel aspect de la situation psychanalytique avec lequel le débat va devoir s’engager. L’appareil de langage seul utilisable en psychanalyse, va être transformé en appareil d’action. Et là où la clinique psychanalytique avait tenté d’éviter la séduction libidinale par la construction du dispositif, là où elle avait tentée d’éviter la séduction surmoïque en ouvrant une règle de liberté associative, là ou donc le cadre s’était organisé pour lutter contre la séduction (D. Lagache, 1952) la suggestion (I. Macalpine, 1950, Stones 1953) et l’hypnose (R.Roussillon 1995), elle va butter sur une autre forme de séduction qu’elle aura de la difficulté à penser ; ce que j’ai proposé d’appeler en 1978 « la séduction narcissique ».
Les problématiques du transfert narcissique, la réaction thérapeutique négative (RTN), et tous les problèmes cliniques contemporains liés aux problématiques narcissiques-identitaires sur lesquels la clinique s’interroge encore, sont liés à la manière dont les sujets ressentent la situation psychanalytique comme une situation qui tend à modifier leur fonctionnement psychique, et la manière dont ils réagissent à cette modification vécue sur le mode de la séduction, de la suggestion ou de l’influence.
La problématique de la séduction narcissique dans la rencontre clinique n’est pleinement intelligible (au-delà des questions qui relèvent du contre-transfert) que si l’on admet que le cadre et l’engagement transférentiel dans la rencontre clinique, produisent des modifications du fonctionnement de la psyché, modifications et transformations nécessaires à son transfert.
On peut saisir celles-ci, par exemple, dans la métaphore que Freud utilise pour faire comprendre au patient ce qu’il attend de lui. Elle est très explicite de ces différentes transformations. Il présente la règle fondamentale de la manière suivante ; « Imaginez, dit-il au sujet, que vous êtes dans un train qui roule, vous regardez le paysage qui défile sous vos yeux et vous le décrivez à quelqu’un qui ne le voit pas ».
Une telle formulation décrit une série de transformations qu’il n’est pas inutile de redéployer.
Tout d’abord le train roule, tout part d’un mouvement qui est celui de la vie pulsionnelle, des « motions pulsionnelles », qui est celui de ce que le sujet engage dans le transfert. C’est le premier temps, le préalable. Ensuite le mouvement « anime » le paysage intérieur du sujet et produit donc une transformation du mouvement pulsionnel en une représentation visuelle, la pulsion est représentée sous forme de représentations de choses « visuelles », elle produit une pensée en image (modèle du rêve), en fantasme. Elle développe l’insight, le « regard » sur les paysages intérieurs.
C’est bien pour que ce travail puisse s’effectuer que la situation restreint la motricité et le regard sur l’analyste dans la situation psychanalytique, ou que le clinicien se montre neutre et discret dans les autres dispositifs cliniques, c’est bien pour que la suspension de la motricité et de la perception « produisent » un jeu d’images intérieures, se transfèrent et se transforment en cette dynamique interne des images et fantasmes et de leur transfert dans l’appareil à langage verbal.
Car ce qui a ainsi été mis en représentations de choses visuelles va devoir ensuite être « traduit » (Freud, Laplanche) en représentations de mots, transféré dans l’appareil à langage et être adressé à l’analyste.
Or tout ceci suppose que l’analysant dispose de la possibilité d’effectuer de tels transferts intrapsychiques, d’une capacité à ce mode de transformations. Quand ce n’est pas le cas, la situation n’est pas vécue comme un étayage à la symbolisation mais comme une menace pour le fonctionnement psychique, une mise en échec de celui-ci, comme une forme d’influence qui menace son identité, pour peu que les interventions du clinicien ne tiennent pas compte de cet effet induit du cadre.
Freud arrête la description des transformations à ce stade, mais ses successeurs ont prolongé la réflexion de Freud au-delà et ici de manière essentielle.
Green a souligné qu’il y avait un transfert sur le langage qui s’effectuait ainsi dans la mesure où tout doit passer par la parole. Mais j’ai pu aussi faire remarquer (1995) que le transfert sur la parole et le langage modifiait aussi le statut de la parole et que la parole tendait alors à devenir l’agent d’un appareil d’action, d’action dans et par le langage.
Dans le cadre psychanalytique et les situations cliniques apparentées, le fait que la parole soit le seul médium de la communication confère à celle-ci une valeur particulière et exacerbe certaines des potentialités de la parole. Le transfert est une forme d’action par la parole, il est agieren comme le dit l’allemand, il est mise en acte de l’histoire, (on peut aussi sur ce dernier point se référer au livre de J.-L. Donnet « La situation analysante »).
Dans d’autres dispositifs cliniques d’autres médiums vont être proposés et vont fournir matière à d’autres formes de transfert. Là où, dans la situation psychanalytique traditionnelle, la transformation du champ moteur en images visuelles, en « pensée en image », s’effectue dans l’intimité de la psyché du sujet, là donc où elle va de soi, et est abandonnée au processus interne du sujet sur le fond de l’hypothèse qu’il peut la mener à bien, que son fonctionnement psychique la rend possible, d’autres conjonctures transférentielles vont imposer la mise en œuvre d’un accompagnement de ce processus à l’aide de médiums comme le dessin, la peinture, voire certaines formes de « dramatique mimo-gesto-posturale » à valeur de mise en scène (cf. par exemple l’exemple analysé plus haut de la pantomime hystérique), ou toute forme de représentaction visuelle ou motrice.
Enfin on pourrait avancer que le travail clinique va être ensuite de tenter de transformer cette action, cet agieren, en une forme de jeu susceptible de rétablir ou de dégager les potentialités symbolisantes de celui-ci, et ainsi de permettre le travail de mise en sens nécessaire à l’appropriation subjective. La dernière transformation serait celle de l’appareil de jeu ainsi développé en une forme de d’appareil, ou pour mieux dire de « fonction réflexive ».
On peut alors décrire la série de transformations impliquées par le processus analysant :
Appareil moteur => Appareil de figuration visuelle dynamique => Appareil de langage (et au-delà de Freud) => Appareil d’action => Appareil de jeu => Appareil de sens (méta-jeu) et d’appropriation
5) Transfert et « Utilisation » du dispositif-cadre.
L’hypothèse fondamentale qui sous-tend nos différents développements, et en particulier celui que nous proposons sur les transformations du fonctionnement psychique impliqués par le dispositif, est celle d’un transfert de l’espace interne de la symbolisation sur le dispositif nécessaire à son utilisation.
D. Anzieu (1975) a proposé l’hypothèse d’une topique projetée dans l’espace analysant, mais E.Erickson (1960) avait déjà évoqué une telle hypothèse à propos du jeu de l’enfant considéré comme un déploiement analogique des processus psychiques, et ceci en prolongement des hypothèses de Freud sur le jeu de la bobine mais aussi sur l’animisme infantile (Freud 1913). Tous ces travaux concourent à fourbir l’hypothèse d’un transfert du fonctionnement de l’appareil psychique dans le dispositif, dans les différents composants du dispositif temporo-spatial, transfert qui tend à « matérialiser » certains processus qui viennent « animer » la rencontre clinique (au sens de l’animisme premier).
L’une des conséquences de ce processus est que le lieu de la rencontre clinique devient « sacré » : des fragments de la psyché du sujet se « mêlent » symboliquement à des objets ou particularités du dispositif qui, dès lors, les « représentent » dans le cours de la rencontre. C’est ce processus qui rend potentiellement « sacrés » les objets ou particularités du dispositif, c’est aussi ce qui explique certains vécus catastrophiques lorsqu’il y a des modifications qui affectent le dispositif dans la matérialité (cf. J Blerger 1967).
Ce qui veut dire, inversement, que, comme nous l’avons indiqué, le dispositif doit exercer une « attraction » de la symbolisation, une « séduction » de ses processus par le dispositif. Par ses propriétés il doit permettre une condensation de la symbolisation, grâce à laquelle tout devient « message » adressé dans la situation clinique, tout est entendu comme « en souffrance » ou en attente de symbolisation.
Mes dernières considérations invitent à proposer maintenant une remarque générale sur ce qui se joue dans le rapport au dispositif.
Le cadre, le dispositif instauré en lien avec la prise en compte d’une certaine psychopathologie tend plus ou moins à témoigner des caractéristiques de l’objet auquel il s’adresse, nous en devons la remarque à Bleger (1967). Il y a une « pénétration agie » (J.-L. Donnet) de l’objet et de sa forme qui s’effectue sur et dans le cadre lui-même, il y a ce que j’ai proposé d’appeler un « transfert sur le cadre » (1977, 1991, 1995, 2008) qui conditionne la manière dont le cadre accueille ce transfert mais aussi dont il en est affecté et parfois attaqué ou réduit à l’impuissance.
Le transfert, dit Freud en 1914, nous l’avons vu, est transposition « de la situation historique sur la situation actuelle », il ne concerne pas, en effet selon cette définition, seulement la relation au clinicien, il concerne tous les aspects de la « situation actuelle », c’est-à-dire aussi la relation ou le rapport au dispositif (mais aussi, nous reviendrons sur ce point, des éléments « extérieurs à l’analyse »). Il y a une spécificité de la dimension du transfert « sur » le dispositif qui expliquerait le rapport difficile que certains sujets entretiennent avec la situation clinique, qui nous expliquerait, au moins en partie, l’intolérance de certains patients à la situation destinée à les aider et à soulager leur souffrance.
– Ces réflexions conduisent à une hypothèse concernant la spécificité de ce qui se transfère sur le dispositif lui-même. Si le cadre « symbolise la symbolisation » alors nous pouvons avancer qu’autour du rapport au cadre va venir se rejouer l’histoire des sujets dans leur rapport à l’activité de symbolisation elle-même, l’histoire de ses aléas et particularités, de ses réussites mais aussi l’histoire de ses traumatismes.
– Ceci signifie que le rapport que le sujet entretient avec le dispositif pourrait être considéré comme un « analyseur » de l’histoire, moins d’un symbole particulier ou d’un fantasme particulier, que du rapport à l’activité de symbolisation elle-même. C’est aussi en fonction de cette hypothèse que la question des aménagements du dispositif doit pouvoir être pensée. On ne peut empêcher qu’au sein du dispositif vienne se rejouer un pan de l’histoire traumatique du sujet, ce qui voudrait dire un empêchement au transfert et aurait comme effet la sidération ou le gel du travail clinique, mais une reproduction « avec une fidélité indésirable » (Freud) rend de son côté très difficile le dégagement de ce qui se rejoue ainsi. Sont ainsi réunies les conditions d’une double contrainte : répéter suffisamment pour que le processus « prenne » et qu’il puisse ouvrir la voie à une reprise féconde et intégratrice, mais ne pas répéter trop « exactement » ce qui entraverait considérablement la possibilité de cette intégration.
7) Formes et modalités du Transfert.
Nous l’avons indiqué dans notre chapitre sur le transfert, il y a d’abord le transfert sur le psychanalyste, histoire du transfert des objets-symbolisants, des particularités idiosyncrasiques de ces objets qui s’ajoute aux processus spécifiques de ce transfert : par déplacement et métaphorisation, par retournement. Mais aussi un transfert sur le médium (R. Roussillon) : transfert sur le langage (A. Green), sur le jeu, le dessin et toutes les formes de médium proposés par le setting.
Enfin j’ai décrit aussi (1977) un transfert sur le dispositif, qui porte l’histoire du rapport à la symbolisation, histoire de ses réussites de ses aléas, de ses contextes etc.
8) Paradoxe du dispositif.
Ce qui est dit et vécu est éprouvé « pour de vrai » (actualisé dans la rencontre).
Mais ce qui est amené « vaut » pour re-présentation. (Reprise, réédition de l’histoire). Le dispositif « signifie » la reprise re-présentative, il signifie que ce qui se joue vaut comme représentation et non comme la chose elle-même, il « représente » l’espace de la mise en représentation du dit, du montré, et du vécu.
Quand une chose est inscrite dans la situation, elle « signifie » sa représentation, elle signifie elle-même et autre chose qu’elle symbolise. Il « représente » l’espace de la mise en représentation du dit, du montré, et du vécu. Ainsi quand une chose est inscrite dans la situation, elle « signifie » sa représentation, elle signifie elle-même et autre chose qu’elle symbolise.
Le dispositif traite ainsi le paradoxe de l’impossible différence entre la chose elle-même (ou l’affect), et la chose ou l’affect pris pour, traité comme une représentation, un signe, un signal, il traite le paradoxe de l’impossible différence entre la chose elle-même (ou l’affect), et la chose ou l’affect pris pour, traité comme, une représentation, un signe, un signal, entre l’actuel et l’actualisation et la re-présentation, entre la forme passionnelle et la forme « signal », messagère. (Ex : la désymbolisation dans le cadre doit être prise comme trace historique (tentative de représentation) des expériences de désymbolisation).
[1] Du moins dans les dispositifs où cela est possible, nous verrons que dans les dispositifs « aux limites » la question se pose autrement, et où le clinicien doit accepter d’être là « en 1° personne » selon la formule proposée par D.Anzieu.
[2] cf.R.Roussillon 2008. Le langage du cadre et le transfert sur le cadre, Avancées de la psychanalyse sous la direction de P Denis, Monographie et débats de psychanalyse, PUF p 105-119.