Colloque anniversaire du GLP-RA. 18 Octobre 2008
Ouverture Table ronde « Rôle et effet du travail de création… ».
- Roussillon
Je remercie les organisateurs de m’avoir confié la présidence de cette table ronde dont le thème me touche tout particulièrement.
Je crois en effet que c’est bien l’un des enjeux les plus essentiels de la cure de psychanalyse que de développer les capacités créatives des analysants, ce qui veut dire aussi bien leur permettre de s’étayer sur la tradition et ce qu’ils ont reçus en héritage de leurs parents et ainés, que leur permettre de s’en affranchir suffisamment pour inventer leur propre manière d’être et de faire, pour vivre créativement. C’est là en effet la double contrainte paradoxale qui préside à toute activité créatrice, comme dit Winnicott elle est trouvé-crée, ce qui veut dire dans ce contexte qu’elle vient de la tradition – elle est « trouvée » dans celle-ci – et qu’en même temps elle doit être inventée, ré-inventée, recrée.
Si les psychanalystes cherchaient à établir leurs propres critères d’évaluation du travail psychanalytique je proposerais volontiers de faire du développement de la créativité, sous toutes ses formes, le premier critère à prendre en compte.
Quand Freud dans Constructions en analyse s’interroge sur les critères d’évaluation des interprétations et constructions, quand donc il pose la question de savoir comment s’évaluent les effets du travail psychanalytique, il évoque la générativité « associative » de celles-ci.
J’aimerais m’arrêter un instant sur cette formule. L’associativité réfère classiquement en psychanalyse à la règle fondamentale dite de l’association libre, du coup on s’avise moins du fait que si cette règle a quelque chance d’être applicable, et l’on sait que c’est aussi l’un des enjeux de la cure que de la rendre applicable, que de faire en sorte qu’elle puisse devenir applicable, c’est parce que le fonctionnement de la vie psychique est fondamentalement associatif. Associatives sont les représentations que Freud définit, dès 1891 et sa Contribution à l’étude des aphasies, comme des réseaux d’associations connectées entre elles, associatif est le fonctionnement du moi que L’esquisse nous propose, associatives sont dites les hystériques, associatif le processus primaire de 1900 etc. Simplement cette associativité est masquée par différents processus de régulation qui viennent inhiber tout ou partie de cette associativité de base.
Il y a d’abord l’inhibition liée aux mécanismes de défense tel le refoulement ou encore le clivage pour s’en tenir aux deux mécanismes structurellement organisateurs, l’inhibition liée à l’exercice des différentes censures, morale, sociétale et « logique » ensuite qui se dialectise avec la première, et enfin les processus d’inhibitions qui résultent du besoin de cohésion et de cohérence du moi. La règle de l’association libre, comme l’ensemble des paramètres de la situation analysante, tendent à promouvoir un mode de fonctionnement associatif dont la régulation résulterait du développement des propriétés réflexives de l’associativité.
Dès lors on pourrait tracer une ligne de départage entre les psychothérapies d’orientation psychanalytique et celles qui relèvent des techniques d’éducation ou de rééducation en vogue dans les TCC (Thérapie cognitivo-comportementale). Ces dernières modifient le fonctionnement psychique en cherchant à optimiser les systèmes de régulation fondés sur l’inhibition à la différence du travail psychanalytique qui, lui, cherche à développer a régulation fondée sur les potentialités réflexive de l’associativité elle-même.
Ceci nous conduit à reprendre maintenant la question de la générativité.
A un premier niveau, dans Construction Freud a manifestement en tête l’idée que l’effet de l’interprétation ou de la construction doit être d’apporter le matériel nécessaire aux effets de conviction indispensable pour l’efficace des changements profonds visés par le travail psychanalytique. L’acceptation immédiate ou le refus immédiat ne saurait être en effet décisifs dans la mesure où tout deux dépendant de la configuration transférentielle du moment. En psychanalyse on ne peut donc se fonder sur des systèmes de confirmation directs trop potentiellement pris dans le transfert. C’est bien sûr là encore l’une des difficultés majeure de l’évaluation de la psychanalyse et de ses traitements dérivés. Mais cette difficulté ne doit pas nous faire reculer devant la tâche, au contraire elle doit nous conduire à plus d’approfondissement de ce qui nous fonde c’est là ce qu’indique Freud en 1938 : continuez le travail la confirmation viendra plus tard ! C’est l’essentiel du travail de perlaboration.
Mais c’est sans doute, comme j’essaye de l’indiquer depuis tout à l’heure, que la générativité associative, quand les facultés de synthèse de l’analysant ne sont pas trop entravées, tend à libérer la réflexivité du fonctionnement psychique, que cette dernière est son horizon élaboratif.
Enfin, pour finir, il faut dire un mot du moteur de l’associativité, de ce qui fait qu’elle peut-être générative, de ce qui constitue son dynamisme.
L’associativité en psychanalyse est entre pulsion et objet, dans la double contrainte que ce système structure.
D’un côté elle tire son dynamisme de l’introjection pulsionnelle, c’est cette dernière qui, au fur et à mesure que les motions pulsionnelles pénètrent le moi et lui transmettent leur poussée, exige en même temps que le moi transforme les motions pour les intégrer. Mais dans le temps de la séance, la transformation que le moi impose aux motions pulsionnelles ne s’effectue pas dans n’importe quel sens.
Dans la mesure où elle est associativité adressée à l’analyste elle doit, d’un autre côté, se plier aux exigences de narrativité qu’imposent la présence de celui-ci. Elle doit intégrer la contrainte exercée sur sa forme par son objet de transfert et les conditions de la rencontre avec celui-ci, elle doit se socialiser ou découvrir son niveau de socialité. Et c’est bien à partir de cette exigence de socialité qu’elle peut acquérir les propriétés réflexives dont nous avons fait son horizon élaboratif.
Ainsi en psychanalyse si la créativité est bien l’un des enjeux essentiels du travail c’est dans l’introjection pulsionnelle et la générativité associative et narrative qu’elle implique quand elle s’effectue en présence de l’objet, qu’elle trouve sa forme la plus aboutit, c’est dans le jeu potentiel qui ainsi trouve son arène, qu’elle trouve tout son sens.