Théorie psychanalytique du traumatisme

TH psy trauma 01

Jalons et repères de la théorie psychanalytique du traumatisme psychique.

R Roussillon.

La théorie psychanalytique du traumatisme a subi un certain nombre d’évolutions depuis la première « neurotica » proposé par Freud vers la fin du 19°siècle. Celle-ci concernait les effets psychiquement traumatiques d’abus sexuels perpétrés sur des enfants immatures sexuellement, elle concernait les faits eux-mêmes, l’impact désorganisateurs des « faits » de l’abus sexuel, leur rôle dans la naissance de la pathologie psychique.

Freud s’est ensuite avisé que, si les faits de l’abus n’étaient pas négligeables en eux-mêmes, il fallait accorder l’importance la plus grande à leur devenir au sein de la réalité psychique, c’est-à-dire à la manière dont ils avaient été intériorisés par le sujet, intériorisés et liés au reste de sa vie psychique, transformés par celle-ci pour être « métabolisé » ou tenter de l’être au sein de celle-ci, et à la manière dont ils « revenaient » de l’intérieur au sujet abusé. Certains faits n’avaient en effet pas d’action immédiatement manifeste, ils ne produisaient celles-ci que dans l’après-coup, et à la suite d’un certain nombre de modifications chez le sujet, la puberté par exemple.

Plus tard Freud fut amené à conférer un caractère traumatique à d’autres évènements qu’a ceux qui affectent la sexualité à proprement parler, il inclut alors dans le traumatisme, d’une manière générale, tous les évènements ayant atteints une certaine intensité d’excitation ou provoqués une certaine détresse prenant un caractère crucial pour le sujet à ce moment là de son développement, ou les systèmes relationnels toxiques répétés de nombreuses fois au long du développement du sujet (traumatisme cumulatifs).

La théorie psychanalytique du traumatisme se trouva ainsi largement élargie par rapport à la conception psychiatrique du traumatisme, celle de la « névrose traumatique », et précisée par rapport à la conception « populaire » de celui-ci en réévaluant la dialectique des éléments objectifs et subjectifs de celle-ci. Nous verrons au long de cette présentation que la psychanalyse se sépare d’une conception du traumatisme prise « en absolu » pour se diriger vers une conception « relative » au sujet et à ses caractéristiques propres du moment. Il n’y a de traumatisme que « pour un sujet donné » et à un moment particulier de son histoire.

Je ne puis reprendre ici en détail les différents moments de la mise au point de la théorie psychanalytique du traumatisme ni reprendre l’ensemble des travaux et développements qu’elle a générée, je m’en tiendrais à quelques aspects essentiels et différentiels d’autres approches.

 

  1. Définitions.

 

La définition la plus simple que l’on puisse donner du trauma est sans doute celle que dégage Freud en 1920 dans « Au-delà du principe du plaisir ». Il y a traumatisme lorsqu’un sujet est confronté à un excès d’excitation qui déborde ses capacités à endurer et à lier la situation qui se présente à lui, cette excitation produit une effraction psychique étendue qui est à l’origine d’une douleur psychique. C’est l’effraction psychique par l’excitation qui, comme on le voit, est caractéristique du trauma. Elle se spécifie par un certain nombre de traits qui confèrent à la douleur psychique sa nature particulière.

Le débordement d’excitation produit un état dans lequel le sujet ne peut véritablement se saisir de ce à quoi il est confronté, qu’il ne peut véritablement pas le représenter symboliquement, le mettre en sens, ni même le lier d’une manière non-symbolique, il n’a pas de recours au sein même de la situation pour faire face à la menace et à la blessure que celle-ci représente pour son intégrité psychique (ou somatique).

La sidération psychique et le « médusage » (Freud, B Chervet) qui accompagnent le trauma « sidèrent » aussi la temporalité et l’ensemble du système « secondaire » de la psyché, l’expérience paraît durer interminablement, être sans fin ou plutôt hors du temps, hors histoire et hors temporalité historisante.

Douloureuse, sans représentation, sans recours, sans fin, l’expérience traumatique est « immaîtrisable », « insaisissable », non liable par la psyché, elle ne peut être « domptée » selon la métaphore proposée par Freud, c’est pourquoi elle est débordante et désorganisatrice. Elle fait alors encourir à la psyché la menace d’une mort psychique, d’un état de mort de la subjectivité (Winnicott) d’effondrement de celle-ci, qui est l’équivalent psychique de la menace de mort impliquée dans les états psychiatriques de « névrose traumatique ».

Son impact sera alors celui d’une terreur sans nom (W Bion), d’une agonie (Winnicott, Roussillon), d’une angoisse catastrophique (post-Klienniens), d’un développement-d’angoisse sans limites (Freud), selon les différents termes proposés et qui tous tentent de définir l’effet de la confusion psychique qu’entraîne la « situation extrême » pour la subjectivité , la menace identitaire d’annihilation qu’elle fait encourir.

On saisit d’emblée que le traumatisme se caractérise autant par ce qui se passe, que par l’incapacité dans laquelle le sujet se trouve de donner sens à ce à quoi est confronté, incapacité qui peut provenir de son immaturité mais aussi des conditions d’environnement dans lesquelles il se trouve placé, de la faillite d’un environnement « symboligène ».

Le caractère à la fois « irreprésentable » et « inassimilable » de l’expérience subjective aura pour effet que le sujet ne peut que tenter de se protéger contre les effets désorganisateurs de l’effraction, il ne peut que mobiliser des défenses contre la confusion psychique produite par celle-ci, défenses dont l’aspect majeur, nous le verrons, est de se retirer, d’une manière ou d’une autre de la scène.

 

La conjoncture traumatique.

 

Les travaux psychanalytiques ne se sont pas contentés de décrire l’état traumatique de la psyché et ses caractéristiques spécifiques, ils ont aussi tenté de cerner la conjoncture ou le contexte qui en favorisait l’émergence ou la survenue, c’est-à-dire les caractéristiques extrinsèques du trauma.

Tout d’abord on doit évoquer l’intensité « objective » de l’excitation dans les conjonctures traumatiques, c’est le facteur « quantitatif » sur lequel l’accent a été souvent placés dans les grands travaux classiques sur le trauma psychique. Mais celui-ci ne saurait être compris en absolu, même si on peut penser qu’il y a des situations « objectivement » extrêmes de la subjectivité, des situations dont aucun sujet ne peut ressortir indemne.

Un facteur souvent relevé et qui souligne la vulnérabilité générale de l’enfance aux conjonctures traumatiques, et en particulier de la première enfance, est le degré d’immaturité de la psyché. L’immaturité introduit le caractère relatif du trauma, ce qui est traumatique à une époque donnée ne l’est pas nécessairement plus tard, quand la psyché a accru ses capacités représentatives ou ses capacités de défenses et de liaison. La séparation, par exemple, ne produit pas les mêmes effets selon l’âge du sujet et ses capacités à se représenter l’absence durablement, ce qui atténue le vécu de perte et le colore affectivement de manière différente.

Un autre trait aussi souvent relevé, et qui est sans doute le trait général du cas particulier précédent, est l’état d’impréparation de la psyché au moment de la survenue de la conjoncture traumatique. C’est à cet état d’impréparation que l’on attribue le fait d’un certain nombre d’effraction, est surtout caractérisé par le fait que le sujet a été surpris[1] par la survenue de la situation traumatique, sans signal d’alarme l’avertissant qu’un danger menaçait son intégrité psychique et qu’il fallait mobiliser des défenses en conséquence.

La notion d’impréparation amène à son tour au concept de vulnérabilité, et à la notion de période vulnérable au traumatisme, ce qui continue d’accentuer le caractère relatif du traumatisme.

Deux aspects de cette vulnérabilité doivent être différenciés.

Un premier type de moment de vulnérablilité sera défini par le fait que la conjoncture traumatique survient alors que le sujet a relâché sa vigilance, qu’il a abaissé ses défenses, qu’il a été surpris par le caractère inattendu de ce qui se présentait à lui : la situation était familière, elle ne présentait pas de caractère habituellement menaçant, la surprise prend le sujet au dépourvu. Dans cette perspective la vulnérabilité est caractérisée par le fait que le sujet avait abaissé ses défenses habituelles.

Un second type de vulnérabilité dépend lui de ce que le sujet est en train de mettre en crise ou en drame dans sa vie psychique à ce moment là de sa vie, de ce qu’il est en train de travailler particulièrement ou de ce qui le travaille particulièrement au moment où survient la conjoncture traumatique. Nous sommes plus vulnérables à certains événements en fonction aussi de la crise et du type de crise que nous traversons, c’est-à-dire de ce qui est notre drame actuel.

 

  1. Les conjonctures de la vulnérablilité : les « crises » de la différenciation.

 

La construction de notre identité, l’organisation de notre régulation narcissique et l’intégration du caractère sexuel de celle-ci, s’effectue par paliers et réorganisations successives en fonction de notre processus de maturation et des différentes crises réorganisatrices que celui-ci rencontre. Ces différentes crises définissent les âges de la vie et les grandes problématiques que doit traverser le sujet pour tenter de s’accomplir. Chaque « temps » est ainsi caractérisé par une problématique essentielle mise au travail dans la relation à l’autre et à soi-même, cette problématique rend « vulnérable » le sujet à tout ce qui peut la concerner, elle définit l’orbite de ce à quoi il va être particulièrement sensible.

La psychanalyse soutient l’hypothèse que le sexuel et les pulsions qui l’animent constituent le moteur grâce auquel les événements et aléas de la vie vont pouvoir être intériorisés, liés et signifiés dans la psyché. Ce qui a d’abord été avancé à propos de l’autoconservation du sujet (étayage) a ensuite été étendu à sa relation à lui-même (narcissisme) puis à la relation à l’autre (œdipe). Une telle hypothèse place la différence, la sexion, au centre des éléments déterminants du processus de maturation, et c’est à partir de la construction des processus de différenciation que se délimitent et se déterminent les « temps » de l’histoire. Mais c’est aussi en fonction des différents temps du processus de différenciation et donc de sexuation que se définissent les crises et les potentialités traumatiques.

La crise précoce : l’archaïque.

         Sa problématique centrale est celle du processus d’attachement-différenciation, celle de la structuration de la différence primaire moi/non-moi. Elle possède deux « moments », deux directions principales sans cesse dialectisées l’une avec l’autre.

Le processus d’attachement est celui de la création du lien premier avec un objet-autre double de soi-même, avec un autre « miroir » de soi-même. L’attachement humain repose sur un paradoxe, le lien doit se construire avec un autre, un autre-sujet, mais pour autant que celui-ci soit suffisamment un « double » de soi. Cette mise en place suppose un autre qui soit empathique, accordé dans ses attitudes et ses réponses aux mouvements et élans du bébé, elle suppose un travail d’ajustement réciproque de l’infans et de son objet d’attachement, pour que le processus d’identification de soi dans la rencontre avec l’autre puisse s’effectuer selon un mode suffisamment « sécure ». Aimer soi à travers l’amour de l’autre, s’investir et se reconnaître soi à travers la manière dont on est aimé et « réfléchi » par l’autre et ses ajustements à soi, tels sont les processus essentiels de cette phase que la psychanalyse nomme narcissisme primaire, et qui est donc caractérisée par une relation « homosexuelle primaire ».

Toute rupture d’ajustement de l’environnement et de l’objet significatif, tout ce qui viendra entraver la mise en place du paradoxe du narcissisme primaire, « construire le lien avec l’autre comme double de soi-même » prendra un caractère traumatique, soit du côté d’un trop d’étrangeté de l’autre qui le rendra « bizarre » (Bion), soi du côté d’un trop de proximité qui lui fera perdre sa valeur d’autre, sa valeur d’altérité (fusion, adhésivité). Dans l’un ou l’autre de ces cas le lien premier avec l’autre et le lien avec soi, l’habitation de soi, sera entravé, perverti, ou échouera à se construire.

Dans l’un ou l’autre de ces cas, car, ce qui donne toute sa valeur au paradoxe de l’altérité, c’est précisément que l’objet, l’autre « miroir » de soi, soit bien un autre, qu’il soit différencié de soi. Dialectisé au processus d’attachement et de construction primaire du lien, un processus de différenciation doit en effet aussi se développer et s’intégrer progressivement. La différence ne prend sens et valeur que sur fond de l’établissement d’une relation en double, mais la relation en double ne prend sa valeur que du fait qu’elle est relation avec un autre différencié. Là encore tout ce qui ne respecte pas la nécessaire paradoxalité de cette relation « produira » un effet traumatique.

In fine la dialectique que nous avons tenté de profiler plus haut devrait aboutir, d’une part à la « capacité d’être seul en présence de l’autre », la « capacité d’être soi en présence d’un même », et d’autre part à la reconnaissance d’un autre de l’objet, première figure d’un autre différent, d’un autre non-double (le père), présenté et instauré comme objet de désir par le premier objet d’attachement, qui du même coup doit advenir comme différent à son tour. La relation spéculaire va devoir devenir une relation triangulaire dans laquelle le fond de relation à l’autre-double le dispute toujours à la relation à l’autre-différent. Ce sont les figures de l’autre différent qui vont caractériser l’étape suivante de la maturation.

La crise infantile.

La période qui instaure et déploie l’établissement d’une relation triangulaire dans laquelle l’objet-autre renvoie toujours à un autre objet, à un objet différent, caractérise le temps infantile de la différenciation et de la sexuation. La question de la différence dans l’autre passe au centre de la problématique de la mise en sens de l’expérience subjective, de sa symbolisation.

Les paramètres fondamentaux et organisateurs de cette crise de la différence vont se déployer autour de la différence des sexes et de la différence des générations, qui est une différence du sexuel dans la génération. Ce travail de différenciation, qui suppose toujours la dialectique du même dans l’autre, du double dans l’autre, et celle de l’autre, du différent, dans le même, définit une partie de ce que la psychanalyse nomme « crise œdipienne », définie aussi par ailleurs par la relation de l’enfant au couple parental autour duquel cette problématique va trouver à se mettre en scène.

Là encore tout ce qui va venir menacer de confusion le repérage de ce travail de différenciation prendra potentiellement valeur traumatique dans la mesure ou il entravera le déploiement du traitement de la crise et son organisation dynamique progressive, c’est-à-dire qu’il entravera la mise en place des opérateurs de la mise en sens de l’expérience subjective. Les « abus » sexuels, en désorganisant la différentiation du sexuel dans le générationnel, en abolissant le sens sexuel de la différence des générations, en sont l’exemple typique. Ce sont les plus manifestes, mais tout « abus » pulsionnel, sexuel ou narcissique, « amoureux » ou « agressif », peut avoir le même type d’effets désorganisateurs. Le sexuel infantile ne possède pas en effets de moyens spécifiques de décharge comme le sexuel adolescent ou adulte par exemple. Il est caractérisé par l’inachèvement de la maturation, par l’inaccomplissement.

Tout ce qui excède les capacités auto-érotiques qui sous-tendent les capacités de liaison représentative de l’enfant, seul mode de traitement du sexuel dans l’enfance, va menacer celui-ci de débordement et va l’obliger à « pervertir » l’une ou l’autre des fonctions de l’autoconservation pour assurer la gestion ou la décharge de ce qu’il ne peut intégrer et signifier au sein de son économie propre. Les moments ou relations « traumatiques » de cette époque rameutent et ravivent aussi les éléments traumatiques antérieurs, plus précoces. Les traumatismes s’appellent les uns les autres, ils interfèrent les uns sur les autres, ils se masquent les uns par les autres, tant il est vrai que les problématiques précoces de la liaison-différenciation sont aussi réinterprétées ou réorganisées-désorganisées après-coup par les expériences différenciatrices, ou les expériences de confusion plus tardives.

La crise adolescente.

Au centre de la crise adolescente de l’identité, reprenant et réorganisant toutes les expériences antérieures de différenciation, la différence sexualité infantile/sexualité adulte. Cette problématique, parent pauvre des travaux psychanalytiques qui sont surtout centrés sur la différence des sexes et la différence des générations, s’installe dès la puberté et le nouveau rapport au sexuel qu’elle implique. Elle bouleverse ainsi l’ensemble de l’organisation sexuelle infantile antérieure qu’elle met en crise et doit réorganiser sous le primat des nouvelles « donnes » du plaisir sexuel et des capacités spécifiques de plaisir qu’elle propose. C’est sur ce fond que les événements ou relations rencontrés pendant l’adolescence prendront un caractère « traumatique » et viendront désorganiser le travail de différenciation et d’intégration en cours.

La potentialité orgasmique qui caractérise la pulsionnalité adolescente transforme l’ensemble de la relation du sujet au plaisir, mais aussi à la mort et plus généralement à la limite. Dans et par l’orgasme, le processus de maturation et d’intégration pulsionnelle trouve sa fin, mais c’est pour mieux ouvrir la question des « fins », celles du plaisir, du sens de la vie et de la mort, crucialement alors interrogées « pour de vrai », c’est-à-dire non plus seulement en représentation mais en acte, en acte devant délivrer leur potentiel symbolique. Là se situe une difficile ligne de crête, centrale dans l’économie de l’adolescence, entre une bascule dans l’agir et la décharge par l’acte, décharge de la nécessité de penser et de symboliser, ou à l’inverse une retenue qui prive la symbolisation de sa valeur de réalité subjective, de sa valeur d’actualisation nécessaire à l’accomplissement de soi. Autour de cet enjeu se situe la vulnérabilité particulière de l’adolescent au traumatisme.

Car l’adolescent, par essence, joue avec le feu, joue avec la limite, celle du débordement, celle qui sépare et relie perception-sensation et représentation symbolique, celle qui différencie la mise en jeu de la vie pour l’appropriation, et le suicide et la destruction du meurtre d’âme ou de corps. À ce jeu l’adolescent joue en effet sa vie, joue pour sa vie, sa vie propre, il joue au meurtre de l’adulte, il joue à la mort de soi, mais dans ce jeu il rencontre parfois l’adulte qui ne joue plus, la représailles passionnelle, il rencontre parfois une réalité qui ne symbolise pas mais interagit, une réalité qui ne joue plus mais le percute. Cette rencontre est certes inévitable, il arrive qu’elle vienne trop tôt ou dans des conditions qui la rendent traumatique, inassimilable, qui coupe pathétiquement tout dialogue avec la réalité.

L’état de crise actuelle.

Dans tout traumatisme, dans toute situation traumatique actuelle, il y a cette rencontre avec une réalité que l’on ne peut transformer, mettre en sens acceptable, une réalité, un Réel dirait Lacan, qui ne se prête plus au jeu de la représentation et de la symbolisation. Tout traumatisme, toute crise actuelle qui tourne au traumatique, à une valeur et des caractéristique « actuelles », spécifiquement actuelles, mais tout traumatisme, dans la mesure même où il sidère le système secondaire et la temporalité qui le spécifie, rameute les traces des traumatismes antérieurs, réactive celles-ci, les réactualisent. C’est pourquoi aussi des événements, parfois apparemment relativement anodins, peuvent avoir des conséquences dramatiques ou démesurées, en raison de la réactualisation de zones traumatiques antérieures réactivées à l’occasion de la situation actuelle. L’espace thérapeutique utilise cette propriété pour rendre présentes et analysables les traces des situations traumatiques souvent lointaines dans le temps.

C’est aussi du fait de cette complexité des états traumatiques que la réaction et les capacités de rebond ou de résilience au traumatisme actuel seront spécifiques pour chaque sujet, elles dépendront étroitement de l’histoire traumatique antérieure et des défenses mises en place pour tenter de juguler ceux-ci, à l’époque ou après-coup. Inversement les traumatismes antérieurs insuffisamment élaborés rendent potentiellement traumatiques les situations actuelles qui peuvent s’y associer, celles-ci « appellent » en quelque sorte le réveil des traumas antérieurs ainsi réactivés.

 

  1. Formes et figures du traumatisme.

 

Nous venons de préciser les états de vulnérabilité aux situations traumatiques, les temps et les types de vulnérabilité, il nous faut maintenant préciser comment la psychanalyse rend compte de cette vulnérabilité, ce qui permet de creuser un peu plus les traits saillants de la théorie psychanalytique du trauma psychique.

La conjoncture traumatique.

Pour que le travail psychique puisse s’effectuer dans de bonnes conditions, il est nécessaire que la différence soit maintenue entre réalité psychique et réalité extérieure. Quand un problème est « mis au travail » dans l’espace psychique, il est nécessaire qu’il se déroule dans un espace psychique « intermédiaire », transitionnel, dans lequel la question de savoir si la réalité mise en jeu se déroule à l’intérieur ou à l’extérieur est suspendue. En réalité le travail psychique d’élaboration possède nécessairement un temps ou l’opposition dedans-dehors doit être relativement suspendue, la chose se déroule suffisamment à l’extérieur pour donner réalité aux enjeux du travail psychique et suffisamment à l’intérieur pour donner du jeu à cette réalité. Ceci suppose un type de relation avec les conditions d’environnement dans lequel celui-ci se prête au jeu ainsi défini.

Quand une conjoncture traumatique survient, tout semble se passer comme si la réalité extérieure venait trop à la rencontre du fantasme interne, produisant ainsi un « collapsus topique » (C Janin) entre les deux. L’opposition réalité externe réalité interne ne peut plus rester suspendue car cette suspension serait source de confusion psychique entre perception et représentation. Le trauma détransitionnalise le rapport réalité interne /réalité externe, il oblige le sujet à situer l’évènement dans l’un ou l’autre des espaces ce qui en bloque l’élaboration.

Quand le fantasme se fait réalité les capacités de jeu qu’il recèle sont sidérées, et le sujet, confus, ne sait plus à quel ordre de réalité il doit référer ce qui advient. C’est cette confusion qui est désorganisatrice et oblige le sujet à mettre en œuvre une série de défenses qui toutes entravent l’élaboration et la mise en sens.

La confusion psychique produit, par elle-même, un excès d’excitation qui déborde la psyché. L’excès ne provient pas nécessairement donc de la situation, il peut provenir de la confusion elle-même, c’est-à-dire provenir de la sidération de la psyché, celle-ci s’avérant incapable de lier la moindre excitation du fait de sa faillite et de celle de ses processus de mise en sens.

Ici donc le trauma ne vient ni de l’intérieur à proprement parler, ni non plus de l’extérieur, il provient de la mise en coïncidence des deux et de l’incapacité dans laquelle se trouve le sujet de maintenir une différence suffisamment efficace pour poursuivre son travail psychique. C’est pourquoi quand une question est particulièrement mise au centre du processus psychique, le sujet développe une vulnérabilité particulière à tout ce qui peut la concerner. Ceci définit ce que j’appelle une conjoncture ou une zone traumatique.

L’événement traumatique.

Ce que l’on peut appeler l’événement traumatique va plutôt se caractériser quant à lui par la violence et l’intensité de son impact. Celui-ci ne peut jamais tout à fait être considéré comme indépendant de la conjoncture psychique du sujet mais l’on peut admettre, la clinique nous y pousse naturellement, qu’il y a un certain nombre de circonstances qui sont intrinsèquement traumatiques, quasi indépendamment de la conjoncture actuelle du sujet (menace portant sur la vie, l’intégrité psychique ou physique du sujet etc.). Le sujet est placé dans une « situation extrême » (B Bettelheim) qui recèle un haut potentiel d’excitation et de faibles capacités de liaison ou de mise en sens possible de celui-ci (torture, camp de concentration, viol, agression violente, séparation précoce etc.)

Ici la désorganisation, la confusion psychique, ne provient pas du collapsus topique qui surgit de la superposition de la réalité extérieure et de la réalité intérieure, elle provient du « trou » crée dans la psyché, et la trame de la continuité de son travail de mise en sens, par l’intensité de la menace. C’est la violence de l’impact psychique de l’événement qui est l’élément déterminant.

Traumatisme cumulatif.

À l’inverse, dans d’autres circonstances, c’est le caractère répété (S Freud 1895) d’une situation de blessure peu intense en elle-même qui produira, par cumul des charges en quelque sorte, un impact traumatique. La blessure psychique n’a jamais le temps de cicatriser, elle est sans cesse réouverte, devient de plus en plus béante avec le temps et la répétition. Les traumatismes liés à un type de relation avec un objet « toxique » sont de ce type, c’est le mode de relation, maintenu au long cours qui recèle le vecteur traumatique. Et ceci d’autant plus que ce qui est toujours présent n’est guère représentable et tombe dans le fond syncrétique de l’identité. Pour pouvoir se représenter et se séparer d’un mode relationnel il est nécessaire que celui-ci ne soit pas pris dans le fond muet de ce qui ne se perçoit même plus à force d’être toujours présent.

Les traumatismes narcissiques que nous évoquerons plus loin sont souvent de ce type, l’autre est « insaisissable » dans la relation, ou « imprévisible » affectivement, discrètement « rejetant » etc.

Traumatisme du non-advenu.

Une dernière forme de traumatisme doit être évoquée, elle est paradoxale et n’a vraiment été mise en évidence que par la clinique contemporaine, elle concerne non plus ce qui se passe mais, à l’inverse ce qui ne s’est pas passé. « Il ne se passe rien là où il aurait pu utilement se passer quelque chose ». Telle est la formule que Winnicott propose de cette conjoncture traumatique particulière.

Bien sûr ce qui ne se passe pas n’est pas n’importe quoi. On peut ici évoquer la question du traumatisme par carence, carence d’investissement, carence de soin ou d’attention, mais la conjoncture traumatique renvoie souvent à des formes plus subtiles qui concernent des manques dans l’écho renvoyé au sujet à ses appels. « L’absurde, disait A Camus, surgit de la confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». La carence alors prend la forme d’une carence dans l’échange affectif, d’une carence dans la communication et la prise en compte des « besoins du moi » c’est-à-dire dans ce qu’il faut fournir au moi-sujet pour qu’il puisse faire son travail de mise en sens. Plus la psychanalyse avance et plus elle met l’accent sur l’ensemble des conditions nécessaires pour que le travail de symbolisation de l’histoire vécue, quelle que soit cette histoire, puisse se dérouler, nous aurons à revenir sur cette question plus loin.

 

  1. Traumatisme sexuel, traumatisme narcissique.

 

Nous l’avons dit le traumatisme à d’abord été exploré par la psychanalyse sous la forme du traumatisme sexuel, traumatisme de la sexualité infantile par la sexualité adulte et ses paramètres spécifiques, c’est la question que l’on appelle maintenant celle de l’abus sexuel. Elle est toujours étroitement connectée pour les psychanalystes à la question de l’inceste, même si les parents ne sont pas directement les protagonistes de l’abus. L’utilisation « sexuelle » de l’enfant et de la sexualité infantile pervertie l’usage de celle-ci, elle lui fait violence même si les actes eux-mêmes ne sont pas violents. Ce qui est de toute façon violent dans l’abus est le mésusage qui est fait du sexuel infantile, son détournement.

Le sexuel infantile est auto-érotique, sa fonction fondamentale dans l’enfance est d’offrir à l’enfant la source du travail de reprise et d’intériorisation de ce à quoi il est confronté, c’est pourquoi sa forme la plus déterminante est celle des « théories sexuelles infantiles », c’est-à-dire celle des formations à partir desquelles les représentations psychiques s’organisent en des formes en quête de cohérence et d’organisation. Mais pour que cette fonction, support du travail de symbolisation, puisse s’exercer dans de bonnes conditions, il est nécessaire que, d’une part, elle puisse s’exercer dans la liberté, facteur indispensable de l’appropriation subjective, forme intégrée de l’intériorisation, et d’autre part, qu’elle reste modérée c’est-à-dire qu’elle maintienne toujours relativement distincte l’activité représentative, le fantasme, de l’action effective, l’acte.

L’abus sexuel de l’adulte désorganise cette double précondition, il introduit une série de confusion entre le fantasme, la représentation psychique, et l’acte effectif, il abuse l’enfant qui « joue » au sexuel, il transforme et détourne la fonction introjective du sexuel infantile. L’abus contraint de fait l’enfant au mésusage de la sexualité infantile, en augmentant les quantités d’excitation engagées il blesse le narcissisme de l’enfant, qui se trouve être débordé dans ses capacités de liaison de celle-ci et ne possède pas de modalités de décharge spécifique de cette excitation.

Cependant, S Ferenczi a pu montrer que le caractère le plus traumatique de l’abus sexuel ne résidait pas tant dans l’abus lui-même, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu’il est négligeable, mais que sa toxicité majeure se situait dans le fréquent déni, par l’adulte, de ce qui s’était passé. Le déni ou l’interdit d’en parler, entraîne l’impossibilité d’élaborer les effets psychiques de la « séduction ».

À ces impossibilités venant du dehors, s’ajoute le mouvement narcissique propre de l’enfant : il rapporte à lui-même, souvent confirmé en cela par l’attitude de l’environnement, l’origine ou la cause ce qui s’est passé, il s’attribue la faute de l’abus, se culpabilise ou éprouve une honte réactionnelle. Le traumatisme sexuel se double alors d’un traumatisme narcissique qui est peut-être le plus dommageable pour le développement de l’enfant.

Ce constat a, petit à petit, amené les analystes à explorer les dimensions « narcissiques » des situations traumatique puis à explorer les traumatismes spécifiquement narcissiques. S’est alors ouverte l’interrogation sur ce que l’on appelle parfois l’incestuel (PC Racamier) par analogie avec l’inceste, mais aussi parce qu’il existe une analogie entre la transgression sexuelle présente dans l’inceste, et un certain nombre de transgression narcissique issue de la relation. Nous reviendrons plus loin sur l’incestuel, car ce n’est pas la première direction de travail qui a été historiquement explorée.

Déjà, Freud avait insisté sur la menace que pouvait représenter pour l’enfant la perte du lien d’amour de ses objets premiers, il avait insisté sur la difficulté à supporter l’absence et la séparation des êtres chers. Dans l’immédiat après guerre, les travaux de Spitz et de Bowlby allaient jeter une lumière nouvelle sur des conjonctures précoces qui constituaient de véritables traumatismes narcissiques. À certaines époques « sensibles » de l’enfance, dans la période alors repérée comme celle de la constitution de l’attachement premier, une séparation durable produit une véritable rupture du lien psychoaffectif premier, qui s’accompagne d’une série de manifestations cliniques aboutissant la plupart du temps à un état dépressif sévère, pouvant dégénérer jusqu’au marasme. L’absence durable de l’objet d’attachement semblait produire, aux ages précoces, un véritable sentiment de perte irrémédiable, inélaborable, état de désespoir ou même au-delà du désespoir, qui allait marquer ensuite tout le développement. La conception du traumatisme psychique entrait dans une nouvelle ère, celle de l’exploration des traumatismes précoces voire précocissimes.

Avec l’étude des liens d’attachement débuta aussi l’étude de ce qui pouvait entraver la construction de ce lien, en creux (absence, séparation, perte…) mais aussi en plein dans et par les modes de présence qui ne rendent pas possible la construction d’un attachement sécure (défaut d’investissement, défaut d’accordage de la mère, défaut d’empathie aux états psychiques de l’enfant). À la pathologie de l’absence s’ajouta la pathologie des modes de présence, qui produisent moins une rupture du lien ou une menace de rupture qu’ils ne viennent entraver ou pervertir sa construction et son instauration. Aux traumatismes issus de la perte, s’ajoutèrent les traumatismes issus de ce qui n’avait pu avoir lieu, de ce qui était resté potentiel non-advenu, de ce qui avait sidéré le sexuel dans sa construction même, dans son organisation première, dans sa fonction même.

À côté des conjonctures dans lesquelles le travail de la différence et de la différenciation était entravé, qui produisent des pathologies affectant la tiercéisation des relations, s’ajoutèrent les conjonctures dans lesquelles c’était la construction de l’autre comme « double » de soi, comme même-autre, comme semblable, qui passaient au premier plan, s’ajoutèrent les pathologies de la construction du lien. Mais aussi se révéla toute l’importance du reflet donné par l’autre dans la construction de soi ; coupure avec l’autre et coupure de soi à soi apparurent dans leur solidarité profonde.

Ainsi le traumatisme apparaît-il maintenant comme ayant toujours une double dimension, sexuelle et narcissique. Il affecte la relation avec l’autre, le travail de liaison-différenciation dans la relation à l’autre, mais il affecte aussi la relation avec soi-même en brouillant le miroir interne nécessaire à la réflexivité. Le sujet ne se sent plus ou se sent mal, il ne peux plus se voir ou se voit mal, il ne s’entend plus ou s’entend mal, et ceci dans toute la polysémie des termes. Les effets sur l’organisation de l’empathie de l’autre sont à la mesure de la perte de l’empathie de soi dans toute la zone du fonctionnement psychique affecté par le traumatisme. Et quand l’empathie dans la relation avec l’autre est défaillante, c’est aussi toutes les réponses réactionnelles de l’autre qui se trouvent être affectées.

 

  1. Les deux temps du traumatisme.

 

Que le traumatisme ait des effets par son impact propre, sur le moment, ne présente pas de difficulté particulière à admettre et à se représenter, qu’il ait des effets durables qui se prolongent bien au-delà de son temps ou de celui qui prolonge immédiatement son impact est déjà plus complexe, mais enfin on peut admettre qu’un certain temps soit nécessaire pour « cicatriser », et que la cicatrice elle-même laisse une marque, qu’il ait des effets « posthumes » implique par contre l’existence d’une théorie pour être intelligible. C’est l’aspect le plus nécessaire de la théorie psychanalytique du traumatisme, il implique de décomposer précisément les différents temps du traumatisme et de la « réaction » post-traumatique.

Premier temps.

Le premier temps du traumatisme est celui qui se déroule sur le moment même. Le sujet, confronté à une situation qui déborde ses capacités de liaison représentative se trouve aux prises avec des excitations effractives qui menacent son intégrité psychique. Le sujet ne peut donner sens acceptable à ce à quoi il est confronté, ce qui provoque une blessure narcissique et un affect de douleur, quand celui-ci peut être éprouvé, ce qui n’est pas toujours le cas. La psyché, menacée dans sa survie, va alors tenter de mobiliser des défenses contre l’effraction. La spécificité des situations traumatiques est que précisément les défenses habituelles ne peuvent être mise en place, et que la seule défense à la disposition du sujet est une forme de retrait ou de coupure. La situation traumatique ne pouvant être évitée ou jugulée, le sujet va « s’absenter » de celle-ci. Ce sont les modes d’absentation du sujet qui seront caractéristiques du devenir de l’élaboration du traumatisme.

Un premier mode, classiquement repéré, est de soustraire de la conscience ce qui est vécu, c’est le refoulement aussi bien de la perception de ce qui se passe que des affects qui y sont liés. L’expérience traumatique a bien été vécue, elle a bien commencé à être représentée, le sujet a bien commencé à en être affecté, mais elle est intolérable et va être refoulée hors de la conscience, ce qui ne veut pas dire hors de la subjectivité, mais hors de la conscience que le sujet peut en avoir.

Cependant l’impact traumatique peut-être tellement intense et désespérant, ou le sujet tellement peu encore organisé, que des défenses plus radicales peuvent être mises en place. Le sujet peut tenter de se retirer, de se couper de l’impact traumatique dès son apparition, et avant même que celui-ci ait commencé à être identifié et représenté. Le sujet peut se couper de son expérience subjective ou démanteler celle-ci, il peut non seulement la soustraire à sa conscience mais en plus la soustraire à sa subjectivité, faire comme s’il ne s’était rien passé. Le sujet se retire de lui-même, il se coupe de ce qui se passe en lui, se déchire pour « survivre ».

L’impact traumatique est ainsi « jugulé », mais au prix d’une coupure de soi à soi, au prix d’une amputation de la subjectivité, du sacrifice d’une partie de soi, d’un retrait hors de soi-même.

Le problème est que ce dont on s’est retiré ou coupé, ce qu’on a démantelé, continue néanmoins d’exister, et va tendre à faire « retour » dans la psyché et la subjectivité.

Second temps.

Le trauma premier était lié à l’impact interne d’une situation externe, la pulsionnalité s’intriquait à la perception. Ce qui fait retour du traumatisme antérieur va tendre à faire retour de l’intérieur du sujet, même s’il fait retour en lien avec des situations externes qui ravivent et revivifient l’impact traumatique, il fait surtout retour sous l’effet d’une contrainte de répétition qui s’empare de ce qui n’a pas été suffisamment représenté et approprié.

Ce qui fait ainsi retour se présente comme harcelant, ce qui bien sûr évoque les états de névrose traumatique, et oblige la psyché à mobiliser des défenses contre son envahissement secondaire, c’est-à-dire à tenter de lier d’une manière ou d’une autre ce qui tend à se répéter ainsi compulsivement.

C’est dans les défenses ainsi mises en place que le traumatisme va véritablement faire connaître ses effets. Ceux-ci sont parfois « posthumes », c’est-à-dire qu’ils ne développent pas sur le moment mais après-coup, parfois plusieurs années après le traumatisme lui-même, à l’occasion d’un événement qui réveille le trauma antérieur en désorganisant ou décompensant le système de défense mis en place.

Les défenses classiquement mises en place contre le retour harcelant de la situation traumatique sont multiples et caractérisent le type de tableau psychopathologique manifeste, elles dépendent aussi du type de défense primaire mis en place dans l’urgence première de la situation traumatique elle-même.

Quand la défense primaire a été le refoulement, les défenses secondaires seront celles qui concernent le retour du refoulé, c’est-à-dire celles qui caractérisent les états névrotiques de la psyché (Hystérie, Obession).

Quand la défense primaire a été le démantèlement, le retour des éléments traumatiques mobilise des défenses qui caractérisent les états psychotiques ou autistiques de la psyché.

Enfin quand la défense primaire a été le clivage ou la coupure par retrait, les défenses sont celles qui caractérisent les états-limites de la psyché. C’est surtout sur ces dernières que je vais m’appesantir, elles sont moins classiquement décrites, et concernent la majeure partie des tableaux cliniques auxquels nous avons souvent affaire.

Trois grandes lignes de défenses peuvent être observées.

Les premières sont celles qui tentent de « neutraliser » le retour harcelant, de le neutraliser énergétiquement, par l’adoption d’un style de vie ou d’un mode de relation qui cherche à neutraliser le plus possible tout ce qui peut venir activer ou réactiver les zones traumatiques.

Les deuxièmes celles qui vont tenter de maîtriser à l’intérieur, par des formes d’intériorisation dans le comportement ou dans le corps, le retour du clivé.

Enfin, les troisièmes sont celles qui vont tenter de réexternaliser les traces et éprouvés post-traumatiques.

Pour bien comprendre cette clinique, il faut d’abord avoir présent à l’esprit que, quand le retour du clivé se produit, il tend à reproduire les conditions traumatiques premières, il tend à revivifier le traumatisme lui-même, à le répéter quasi perceptivement, hallucinatoirement. Cette réactualisation du trauma tend donc à le répéter, à répéter ses conditions de survenue, elle tend à instaurer une sorte de traumatophillie, destinée à maîtriser dans l’actuel ce que le sujet à échoué historiquement à traiter. Cette maîtrise s’accompagne toujours, dans un premier temps, d’une intériorisation « narcissique » des conditions du trauma. Au fond, le sujet « s’attribue » l’origine de son état, et comment ne le ferait-il pas dans la mesure où c’est de l’intérieur que celui-ci lui « revient », comme de lui-même donc, et ceci même si ne se développe pas une conscience claire du fait. C’est sur ce fond que les défenses vont tenter de produire leur effet.

La première ligne de défense sera, je l’ai souligné plus haut, une tentative de neutraliser le retour du traumatisme. Cette neutralisation peut s’effectuer de différentes manières. Le sujet peut adopter un style de vie qui « gèle »toutes les situations susceptibles de réactiver les composantes du trauma, il refroidira sa vie pulsionnelle et affective, se protègera des engagements affectifs ou de tout lien de nature à réitérer la déception première etc. Ou encore, s’il le peut, il organisera sa vie et l’ensemble de son activité, de telle sorte que celle-ci offrira un démenti actuel permanent au retour perceptivo-hallucinatoire du trauma qui continue de le guetter du-dedans. La lutte pour continuer de juguler le traumatisme passé devient la première urgence de l’ensemble de la vie psychique et relationnelle qui s’organise en fonction de cette fonction de « neutralisation ». C’est une solution de soi à soi.

La seconde « ligne » de défense consiste à tenter de maîtriser de « l’intérieur » le retour traumatique, soit en tentant de le lier par la sexualisation ou l’érotisation, ou encore la somatisation ou la pervertisation des fonctions corporelles. Registre du sexuel ou registre de l’auto-conservation sont alors « utilisés » à des fins de liaison des éléments traumatiques. Ce sont les « solutions » qui tentent de se mettre en place par exemple dans l’anorexie, ou dans certaines formes de sport de haut niveau qui nécessitent une ascèse corporelle permanente, dans la somatisation ou l’exploitation des maladies corporelles, ce sont de nouveau des « solutions de soi à soi. Mais, à l’autre extrême, mais dans la même lignée, la solution peut-être recherchée dans la mise en place de formes perverses de sexualité . La sexualisation du traumatisme tente, par la coexcitation libidinale de transformer l’expérience de déplaisir en expérience sexuellement investie, de « retourner » le déplaisir premier en expérience de plaisir. L’archétype de ce processus aboutit au masochisme, quand le processus est également retourné contre soi, mais il participe aussi à l’organisation de différentes formes de perversion de la sexualité -pédérastie, fétichisme, masochisme érogène ou moral partagé etc. Elles peuvent alors, comme celles que nous allons décrire maintenant, impliquer d’autres sujets qui font alors partie intégrante de la solution post-traumatique mise en place.

Dans la troisième ligne de défense en effet, les traces ou effets du trauma tentent d’être externalisés et « liées » au-dehors en utilisant les ressources de la vie relationnelle individuelle, groupale ou institutionnelle. Ce que le sujet ne peut intégrer dans sa subjectivité va être clivé de lui-même et, par exemple, infligé à l’autre, ou mis en œuvre dans le développement d’une vie groupale, ou encore « professionnalisé » dans une activité institutionnellement investie à cet usage. Ici le processus dominant, outre le clivage déjà évoqué, est le processus de retournement passif-actif. Ce que le sujet a subi passivement de la part d’un autre, il le fera vivre activement à son tour à un autre, alors placé dans la même position, il établira des formes d’emprise ou de « contrats narcissiques », individuels, groupaux ou institutionnels, par lesquels il tentera de lier dans la relation avec l’autre ce qu’il n’a pu intégrer dans sa vie psychique.

C’est ce dernier processus que les espaces thérapeutiques tenteront d’utiliser pour permettre que soit réintégré ce qui de la vie psychique essaye ainsi de se transférer dans la relation à l’autre.

 

  1. La résilience et les besoins du moi.

 

C’est bien en effet dans la mesure où ce qui n’a pu être intégré et symbolisé, ce qui donc garde un statut traumatique dans la psyché, tend à se répéter dans la relation à soi ou dans la relation à l’autre qu’un abord thérapeutique des traumatismes anciens peut être envisagé. Soit que celui-ci déconstruise les solutions antérieurement mises en œuvre, qu’il les analyse, soit qu’il s’offre pour un nouveau type de répétition rendant possible sa symbolisation après-coup, pour un transfert-transformateur du trauma.

Il n’y à guère de résilience véritable au traumatisme sans que les conditions d’une élaboration ou d’un dépassement de celui-ci ne soient réunies.

Il faut en effet différencier la situation traumatique elle-même et la question de son dépassement ou de son élaboration. Nous l’avons déjà évoqué plus haut le traumatisme tient autant dans les conditions de sa survenue que dans celles qui ont empêché son élaboration antérieure, celles qui ont affecté la non prise en compte des besoins psychiques d’un sujet en situation traumatique.

À la suite de Winnicott et de D Anzieu, je propose d’appeler « besoins du moi » l’ensemble des conditions intra et intersubjectives requises, pour qu’un sujet puisse faire le travail psychique de métabolisation de son expérience subjective vécue que celle-ci soit traumatique ou pas. On saisit que l’un des problèmes centraux de l’action psychothérapeutique post-traumatique est celui du repérage des besoins du moi en souffrance dont la carence de reconnaissance est à l’origine du maintient du trauma en l’état.

Pour faire vite et terminer sur ce point je propose de classer les besoins du moi au sein de l’espace thérapeutique selon trois niveaux que je peut faire qu’esquisser ici.

Le premier niveau, ou fonction phorique, est celui par lequel la subjectivité se sent « contenue », accueilli et contenu par des dispositifs matériels et humains qui lui permettent de modérer la quantité d’excitation à gérer et ainsi d’assurer une cohésion de la psyché et de la vie psychique. Une cohésion et une continuité suffisante. Phorein, c’est en Grec ce qui porte, ce qui contient. Être porte c’est être tenu, contenu, pare-excité, c’est aussi être supporté, stimulé, investi.

Le second niveau pourrait être dit « sémaphorique », il concerne la reconnaissance du fait que l’activité humaine, toute activité humaine, toujours, est porteuse de signes, de messages adressés à un autre. Messages parfois énigmatiques, signes parfois au bord de la désignification, dégénérés, mais messages toujours qui doivent pouvoir être reconnus comme tels, ce qui ne veut pas dire qu’on en perçoit le sens, mais qu’ils sont reconnus comme porteur de signifiance potentielle ou de signification passée. Le sémaphore est celui qui porte, produit des signes, phorein est toujours l’action de porter, le semen désigne le signe, ce qui « fait » signe, ce qui produit du signe, c’est-à-dire des messages humain en direction d’un autre. Les messages humains ce sont ceux qui structurent l’échange de soi avec le monde, avec l’autre, avec le monde interne, les sensations, les pulsions, les affects, avec le monde externe, les perceptions, les signes des autres. La fonction sémaphorisante est celle qui qualifie les signes comme tels, qui les reconnaît et les qualifie, les requalifie comme signes quand a été dégénérée leur fonction, comme porteur d’une mémoire amnésique, d’une histoire oubliée ou jamais construite comme telle.

Le troisième niveau est classiquement repéré comme celui de la fonction métaphorique, que l’on pourrait rapidement décrire comme le niveau de la production de sens, comme la fonction symbolisante. Ici la fonction métaphorisante dépasse la simple métaphore, elle a valeur plus générale d’une production signifiante, d’une production de sens. Où, quoi, comment, pourquoi en sont les points cardinaux, les organisateurs génériques. Dedans-dehors, moi ou l’autre, ici et maintenant, ailleurs et autrefois, scandent ce travail de mise en sens, organisent la questions des origines et, à elle dialectisées, celle des causes et des fautes qui président au destin ou à son dépassement.

Contenir et se sentir porté là où l’histoire a fait vivre le débordement, mettre en signe et en représentation ce qui à dégénéré sous l’impact traumatique, mettre en sens, humaniser ce qui a faillit détruire l’humanité en soi, tels sont les voies de l’acquisition d’une capacité de résilience au traumatisme psychique.

[1] L’affect de surprise est l’un des affects de base de la psyché, l’un des affects fondamentaux, celui qui signale l’état d’impréparation de celle-ci et alerte qu’un travail psychique est exigé par les faits.