Extension de la psychanalyse AUX SITUATIONS LIMITES ET EXTRÊMES DE LA SUBJECTIVITE ET L’ASSOCIATIVITE PSYCHIQUE.
- ROUSSILLON Septembre 2008
Introduction :
La situation psychanalytique standard.
*Elle est caractérisée par une règle : l’association libre verbale au sein d’une situation établie : la situation psychanalytique « standard » dans laquelle l’analysant est allongé, l’analyste placé derrière etc.
Mais celle-ci doit être entendue avec un implicite qui apparaît dans la métaphore que Freud en propose mais aussi dans la structure même de la posture (la position allongée suspens la motricité ou la restreint, l’analyste placé en retrait arrière restreint les messages visuels) : l’association doit s’effectuer dans et à l’aide de l’appareil de langage uniquement.
La métaphore de Freud est celle du voyageur dans le train : « Vous êtes dans un train et vous décrivez à un voyageur qui ne le voit pas le paysage qui se déroule sous vos yeux.
Þ Premier implicite le train roule.
ÞIl s’agit de transformer ce mouvement en une scène visuelle (le paysage qui se déroule).
Þ La scène visuelle doit être traduite dans l’appareil de langage verbal et adressée à un autre.
a- La métaphore prescrit un transfert du fonctionnement psychique dans l’appareil à langage (un transfert sur la parole), et donc une série de transformations de l’expérience subjective pour qu’elle puisse s’inscrire dans la parole du sujet.
b- Mais l’association est « adressée » à l’analyste, elle devient donc message adressé à celui-ci, en ce sens elle doit s’inscrire dans une certaine narrativité qui vient se dialectiser à l’associativité et introduit la nécessité d’une régulation.
*Elle s’accompagne d’une autre règle complémentaire, celle du fonctionnement de l’analyste. L’analyste écoute les associations de l’analysant avec l’hypothèse que ce qui s’associe ensemble doit comporter un lien.
* Pour que ce lien inconscient ou implicite puisse être dégagé et communiqué à l’analysant il est nécessaire que l’écoute de l’associativité et le relâchement des censures qui permet d’y avoir accès, s’effectue au sein d’un dispositif analysant ou analytique. C’est le dispositif qui rend possible de suivre l’associativité (pas à pas) et de communiquer quelque chose de celle-ci à l’analysant.
*NB :
1-L’associativité ne caractérise pas la psychanalyse, le fonctionnement de la vie psychique est associatif, par essence. Ceci est sans doute lié au fait que le c’est le fonctionnement de base du cerveau : il fonctionne par association régulée par des processus d’inhibition.
2-Ce qui caractérise la psychanalyse c’est la règle selon laquelle il faut dire les associations, toutes les associations, et tenter de lever les censures et autre formes de processus d’inhibition délibérées qui viennent entraver ou modérer l’associativité de base du fonctionnement psychique. Un double travail est ainsi prescrit : d’une part libérer l’associativité le plus possible, d’autre part la cantonner dans l’appareil de langage verbal. Ce travail préalable ouvre l’accès à la réflexivité de l’associativité.
3-L’associativité peut être « dans toutes les directions » ou être orientée, « focale » comme celle que Freud utilisait à ses débuts (1894-1907). Il faut décrire une typologie de l’associativité.
4-Les différents « états subjectifs » (névrotique, limites, psychotique, autistique, psychosomatique etc.) sont caractérisés par un registre associatif particulier, par un (des) style associatif particulier. Cette question ouvre la possibilité d’une psychopathologie spécifiquement centrée à partir de la pratique psychanalytique.
*Cependant tout dans la vie psychique et l’associativité n’est pas verbal. La règle prescrit que tout doit pouvoir devenir verbal. Et le psychanalyste est prêt à attendre longtemps pour que cela soit possible. Une partie de ses interventions va viser à étayer ce transfert dans l’appareil à langage.
*Quand c’est possible les expériences précoces et les expériences infantiles, mais aussi les expériences subjectives non verbales de l’adulte vont devoir se transférer dans l’appareil à langage. Ceci s’effectue selon une combinaison de trois modalités.
Þ Par liaison des représentations de choses et des représentants-affects avec les représentations de mot.
Þ Par transfert des aspects non verbaux de l’expérience subjective dans les aspects non verbaux de la parole par exemple la prosodie. A côté du transfert sur l’appareil de langage se développe un transfert dans le langage, un « agieren » de parole.
ÞPar transfert des expériences subjectives dans l’organisation de la stylistique.
*Idéalement, c’est l’implicite du dispositif standard, tout doit pouvoir se transférer dans l’appareil à langage, il suffit d’attendre que le sujet soit en mesure de le faire.
2-Les situations limites et extrêmes de la subjectivité.
*Cependant l’expérience clinique a révélée qu’il y a des situations subjectives dans lesquelles les analysants ne peuvent effectuer ce travail de transfert.
*L’archétype de celles-ci est le processus dit de réaction thérapeutique négative et la spécificité du transfert qu’elle manifeste que Freud commence à évoquer à partir de la cure de « l’homme aux loups » et qui ne cessera d’être sous-jacente à ses développements ultérieurs.
*En parallèle à ce processus typiquement décrit à partir du dispositif psychanalytique Freud se penche sur l’analyse et la compréhension de tableaux cliniques qui « résistent » à une intelligibilité issue des seules hypothèses de sa « première métapsychologie », celle qui prévaut jusqu’en 1915 et prolonge ses effets jusqu’en 1920. Ce sont principalement ceux des « névroses narcissiques » et des états narcissiques associés dont la mélancolie est l’archétype (1915) , mais qui concernent aussi « les exceptions » ou encore « ceux qui échouent du fait de leur succès », échouent ou tombent malades, et encore les anti-sociaux ou « criminels par sentiments de culpabilité » (1916), auxquels il faut sans doute ajouter la psychose (1911, 1915, 1924) et la perversion (1919, 1925, 1927…).
*Ces différentes problématiques vont donner lieu à diverses tentatives d’exploration entre 1920 et 1938, mais elles ne commenceront à livrer les hypothèses décisives que vers la fin de cette période quand Freud sera en mesure de poursuivre la mutation théorico-clinique entreprise en 1920-1923 et d’ouvrir aussi la question d’une mutation technique.
*Pour aller à l’essentiel les quelques remarques et hypothèses que je tiens pour décisives concernent.
-L’hypothèse selon laquelle perception et hallucination ne sont pas alternatives (1937-38) mais peuvent se lier entre elles. Hypothèse présente à la fois dans l’analyse du fétichisme ( Le clivage du moi dans le processus de défence) et de la psychose ( Construction en analyse).
-L’hypothèse de l’impact d’expériences précédant l’apparition de l’appareil à langage verbal (Construction en analyse) et de la question de leur devenir dans l’appareil psychique. Hypothèse qui souligne la rémanence des expériences précoces.
-L’hypothèse de l’impact de la « faiblesse de la synthèse » ( Notes de l’exil à Londres) sur cette rémanence, hypothèse du caractère spécifique de la faiblesse de la synthèse dans les expériences précoces.
-Enfin, en tenant compte de l’ensemble de ces questions, l’importance technique du travail de perlaboration des résistances du Surmoi et du Ça et celle d’une conception du travail psychanalytique moins fondée sur l’interprétation que sur la construction.
*Les expériences subjectives qui font problème chez l’analysant dans les différentes conjonctures cliniques évoquées apparaissent alors comme se référant à la période préverbale de l’enfance, elles sont restées plus ou moins conservées dans cet état premier du fait à la fois :
-de la faiblesse de la synthèse à cette époque et
-de la mise en œuvre d’une défense primaire (contre-investissement permanent, refoulement, clivage, déni…) qui les a soustrait au processus de reprise et de réinterprétation après-coup quand elles résultent de moments traumatiques.
*Dès lors l’associativité ne peut plus se dérouler au sein du seul champ de la parole verbale, certains liens sont soustraits à son processus et sont remplacés par d’autres modes langagiers : elle associe des niveaux de représentation et de langage hétéroclites, elle associe entre eux des langages issus de la sensorialité ou de la motricité, voire de l’acte ou du corps, au langage verbal.
*Selon l’importance de cette hétéromorphie de l’associativité la situation psychanalytique standard ne peut plus être maintenue dans l’état et
-soit elle est menacée de l’intérieur par le développement d’une « situation limite » qui oblige l’analyste à faire évoluer son mode de travail et à se pencher sur les paradoxes que les situations limites produisent,
-soit l’analyste ne peut maintenir la situation analysante, voire même il ne peut l’instaurer (situation extrême).
*C’est cette situation particulière qui produit la question des extensions potentielles de la méthode psychanalytique et de nouveaux types de dispositifs analysants, voire de nouvelles conceptions des fonctionnements psychiques impliqués dans les nouvelles « logiques » auxquelles l’analyse confronte.
*La question des extensions de la psychanalyse présente donc deux aspects essentiels.
– Le premier concerne l’écoute des modalités associatives hétéromorphes dans lesquelles, à côté ou en boursoufflure des chaînes langagières verbales, se mêlent des associations exprimées à travers les langages du corps ou ceux de la sensori-motricité.
– Le second concerne les dispositifs « analysants » ou même simplement « symbolisants ». La situation standard ne peut être instaurée ou maintenue, de nouveaux dispositifs permettant la mise en œuvre de modalités d’écoute de l’associativité non verbale doivent être inventés et mis en place.
*Les nouveaux dispositifs ainsi crées « ouvrent » l’adresse et la prise en compte de formes de messages fondés sur le corps ou l’acte, ils visent d’abord à rendre possible une première transformation de leur forme d’expressivité en messages repérables comme tels.
*Il existe différents types de langage liés aux expériences subjectives selon leur période de survenue, donc différents types d’associativité et d’inhibition, et différents types d’états subjectifs liés aux différents types d’associativité…
*Remarque1.
– La psychanalyse standard s’est spécialisée dans la dialectique message intersubjectif (message adressé dans le transfert) Û message intrapsychique (intrasubjectif serait plus juste l’intersubjectivité est « psychique », l’interaction et le comportement sans doute aussi même s’ils ne se déroulent pas que dans la représentation).
– L’extension ouvre d’autres dialectiques préalables, notamment la dialectique comportement (auto) Û interaction (acte adressé ou imposé) et la dialectique interaction Û intersubjectivité.
-Une chaîne de transformation est ainsi produite :
comportement Û interaction Û intersubjectivité Û intrasubjectivité.
-Cette chaîne de transformation implique la mise en œuvre « d’opérateurs » de ces différentes transformations, chaque niveau implique des opérateurs spécifiques et donc des techniques d’interventions elles aussi spécifiques.
* Remarque 2.
– Dans la situation standard le contexte de l’écoute des associations est celui des rapports entre le sujet et son histoire singulière. L’analyste écoute principalement à travers les chaînes et le buisson associatifs ce que l’analysant (lui) raconte de son histoire oubliée.
– Dans les « extensions » l’analyste doit écouter et prendre en compte en plus le contexte du rapport du sujet aux acteurs actuels de son présent (individu, famille, groupe, socius).
* L’évolution des dispositifs « analysants » ou « symbolisants » doit prendre en compte et s’effectuer en fonction des types de messages considérés et « inclus » dans l’écoute de l’analyste.
Par exemple la situation dite en « face à face » ou en « côte à côte » « ouvre » des formes de messages fondés sur le « montrer » et donc le visuel : mimiques, gestualité, postures …
Les dispositifs familiaux ou groupaux ouvrent la question des modalités de co-associativité ou d’inter-associativité, ils ouvrent la question
Mais les dispositifs « open » (exemple ceux mis en œuvre pour les SDF ou les adolescents de banlieue, ceux qui sont « hors des murs » et/ou hors des « situations établies ») ouvrent en plus la question de la « motricité messagère » ou encore celle d’un « langage du lieu ».