Quelques propositions pour une théorie psychanalytique des dispositifs-médiateurs de symbolisation.
R ROUSSILLON.
√ Introduction.
-Enjeux de la présentation : dégager les linéaments d’une théorie sous-jacente à l’utilisation des dispositifs-médiatisés dans le soin.
-Deux théories différentes sont impliquées.
°Une théorie du soin et donc de la souffrance psychique, c’est ce qui donne sens au soin et à l’action thérapeutique.
°Une théorie de la place de la médiation au sein d’une théorie du soin et de la symbolisation.
=>Tous les dispositifs de soin sont des dérivés sophistiqués des dispositifs sociaux spontanés du champ artistique ou artisan. Trois dispositifs « symbolisants » : sociaux, artistiques, analysants.
- Théorie de la souffrance psychique et théorie du soin.
1) On souffre du non-approprié de l’histoire et de l’expérience subjective. Le non-approprié de soi est ce qui n’a pas pu ou mal été représenté psychiquement, c’est ce qui n’a pas été « symbolisé » et ne peut être intégré dans la vie psychique « utilisable » pour le développement de soi.
=>On « guérit » en symbolisant et en s’appropriant ainsi l’expérience subjective en souffrance dans la psyché.
°La transformation à l’origine de la symbolisation ne change pas ce qui a eu lieu (ou n’a pas eu lieu et manque pour être).
°Elle permet de changer le rapport à ce qui a fait problème dans l’histoire, cela permet de lui donner un sens acceptable et ainsi de l’intégrer à la subjectivité.
2) Une telle théorie suppose que l’expérience subjective ait laissé des traces intérieures, qu’elles aient été symbolisées ou pas, qu’elle laisse toujours une trace interne.
– Cette trace est la « matière première » de la psyché.
– Celle-ci va devoir être « ressaisie » pour être intégrée.
– Cela suppose un processus en deux temps.
°Le temps où ça se passe.
°Le temps où ça se signifie, le temps de la reprise « auto ».
3) Cette « matière première » est difficile à saisir.
– Contrairement à ce qu’on a parfois pensé, la mise en représentation symbolique de l’expérience ne va pas de soi, elle résulte d’un W Y.
– Elle est difficile à saisir parce qu’elle est énigmatique et complexe.
°Elle est complexe parce qu’elle est multisensorielle (amodale ?), multiperceptive, multipulsionnelle.
°Elle mêle le dedans et le dehors, le moi et l’autre (elle est produite par la rencontre du moi et de l’autre, à l’interface).
°Elle mêle donc facteurs « objectifs » et « subjectifs », ceux de l’environnement et ceux du sujet.
°Elle est toujours plus ou moins menacée de confusion sans travail de différenciation.
4) Cela vaut tout particulièrement pour les expériences infantiles, plus elles sont précoces, plus cela est vrai. Cela vaut plus particulièrement pour les expériences « traumatiques » de la première enfance.
°Immaturité de la Y infantile (faibles moyens) intensité des éprouvés, faible capacité de synthèse (Freud 1938).
°Le sexuel infantile est traumatique dans la mesure où il n’a pas de moyens de décharge spécifique.
°Mais les expériences de débordement ultérieures sont aussi « confusantes » et désorganisatrices.
5) Le W de symbolisation est lui aussi complexe et multiple.
°Pré-organisation de la sensorialité, de la perception, de la sensualité, par des schèmes d’action et de pré-représentation spécifiques (pictogramme, idéogramme, signifiants formels, contenants formels, proto-représentation, préconceptions etc.) premier temps de la symbolisation primaire, mise en signes « signifiants ».
°Organisation en représentation de chose, en « figure », concept Y, deuxième temps du W de « symbolisation primaire ».
°Organisation en représentation de mot (appareil à langage), W de symbolisation « secondaire ».
=> Comment la Y va t-elle se débrouiller pour traiter cette matière première psychique énigmatique parce que complexe ?
=> Elle va tenter d’externaliser cette matière pour la traiter, de la « transférer » dans une matière perceptive, plus repérable, elle va ainsi « décondenser » la complexité, la diffracter, la répartir.
6) Première hypothèse générale concernant le devenir de ce qui n’a pas reçu de statut Y convenable.
– Soumise à une contrainte de répétition, l’expérience subjective tend à se présenter de nouveau à l’intérieur du sujet, « avec une fidélité indésirable », elle ne se représente pas, elle se présente de nouveau « subjectivement », elle ignore qu’elle se re-présente (échec de la réflexivité). La répétition à l’identique désorganise la subjectivité et ses organisateurs, elle « actualise » le traumatisme.
– Au nom du « principe de plaisir-déplaisir la Y va tenter de l’évacuer, de l’externaliser au nom du déplaisir, ou tenter de la lier sur place (à l’intérieur) en tentant de retourner le déplaisir du trauma en « plaisir ».
7) Ce qui nous intéresse est la tendance de la Y à évacuer au nom du principe du plaisir-déplaisir ce qui n’est pas ou trop faiblement symbolisé.
– Cette solution est à la fois la pire et la plus « intéressante » pour le soin. Tout va dépendre du « lieu » où va avoir lieu cette évacuation, et de ce que l’on va pouvoir faire de ce qui est ainsi évacué.
– C’est ce processus qui est à la base et aux fondements du processus du « transfert » et à son utilisation au sein des dispositifs-symbolisants.
°Attirer, recueillir, contenir ce qui s’évacue ainsi. Fonction phorique.
°Le mettre en forme signifiante, en signe. Fonction sémaphorique.
°Le rendre représentable et intégrable. Le mettre en sens. Fonction métaphorique.
- Le transfert et son traitement par la médiation.
1) Ce que nous offrons au transfert, que nous le voulions ou non, c’est toujours l’arène de la relation avec nous-même. Nous nous offrons comme espace de projection et objet pour le transfert. Nous « séduisons » ce qui s’évacue, nous l’attirons.
2) Que nous l’offrions n’implique pas qu’il soit « utilisable ».
– Côté soignant, se pose le problème d’être ainsi « utilisé » comme « poubelle », « waste disposal » (Winnicott), ce qui secoue notre identité et notre capacité d’empathie. Le transfert est toujours violent dans son processus (pour qui, quoi, me prend-on ?).
– Côté utilisateur peur d’utiliser ainsi l’autre comme « matière à symboliser », voire terreur d’utiliser les humains-soignants pour leur faire subir cette chose « innommable » d’eux-mêmes. Traiter l’objet comme un abject. Honte, culpabilité. Il faut parfois des années pour qu’ils acceptent de nous utiliser de manière impitoyable.
– Il faut une formation spécifique pour les soignants qui ont de toute façon leurs limites.
3) Cette dimension du soin est souvent inévitable, elle est toujours présente à l’arrière-plan.
– Une manière de tourner la double difficulté est de détourner le processus évacuateur en direction d’un objet médiateur, représentant du soignant, mais différent et détaché de celui-ci.
– Ceci suppose un objet médiateur capable « d’accueillir » et de mettre en forme la « matière » qui s’y transfère.
– Problème général de la médiation : offrir un objet « transformable » en représentation Y.
°Ce peut-être, c’est toujours, d’abord la parole, voire le groupe.
°Un ensemble d’éléments relationnels « utilisés » par le sujet.
°Un objet, un « objeu », un médium, proposé pour « jouer et mettre en forme ».
– On met en forme avec l’objeu, avec le médium ce qui ne peut pas se jouer avec l’objet, avec le soignant.
4) Cette mise en forme de l’expérience subjective, de la matière première Y, constitue une expérience subjective spécifique qui étaye tout le W Y de la subjectivation. Représentation de la représentation.
– C’est l’expérience Y de trouver-créer des représentants-représentation de l’expérienceY.
– Cette expérience subjective singulière, « en présence du soignant », ouvre la possibilité d’un traitement représentatif de la zone traumatique du sujet.
- Caractéristiques et spécificités des espaces et dispositifs médiateurs.
1) Choix du médium. Il doit correspondre aux systèmes perceptivo-sensori-moteurs du sujet utilisateur. Il doit être « créable » par celui-ci, le dispositif lui permet de trouver ce qu’il est capable de créer.
2) Chaque médium privilégie un mode de rapport spécifique à la sensorialité. Type de tactilité, de visualité, d’odeur etc. Il implique ou induit ou accueille un transfert spécifique. Même si l’expérience tend à être amodale, ce qui rend envisageable plusieurs types de médium, elle privilégie néanmoins un certain type de sensorialité. On ne transfère pas n’importe quoi sur n’importe quoi. Il y a une plasticité, mais elle possède ses limites.
3) Soit dès le départ soit en cours de W le médium doit pouvoir être amené en position de « symboliser la symbolisation » elle-même. Il doit représenter non seulement ce qu’il représente, mais aussi l’activité représentative elle-même.
=>Ceci suppose un transfert spécifique sur l’objet médiateur proposé. Transfert de la fonction représentative sur « l’objeu ».
=>Nous ne symbolisons pas tous de la même manière, ni à l’aide des mêmes étayages sensori-sensuello-perceptivo-moteurs.
=>Ni en fonction de notre histoire singulière ni en fonction de notre âge.
4) Une autre précondition concerne la règle et le droit à la « libre utilisation » du médium pour symboliser.
– Pas n’importe quelle utilisation : pour symboliser.
=>Ce qui suppose un idéal implicite du champ : « tout est bon à symboliser ». Ce qui ne renvoie pas au produit mais au processus, c’est le vecteur, la tension du champ.
– Ce qui suppose aussi une attitude interne chez le soignant, il écoute en quoi ce qui se produit contient un signe ou un indice du travail de symbolisation, il cherche à dégager celui-ci. Fonction sémaphorisante.
5) Cette « libre utilisation » suppose une certaine « malléabilité », une certaine « transformabilité » du médium proposé et de l’utilisation qui peut en être faite.
– Ceci a des implications sur « l’animation » (ce qui donne le droit « d’animer » le médium au sens de l’animisme, celui qui donne le droit à la vie animique).
– Le médium est et n’est pas son « présentateur », l’animateur n’est que le présentateur, le représentant du médium (et ceci même si bien sûr le médium est aussi le représentant du « présentateur », la relation avec l’objet humain est toujours centrale).
– Donc le médium appartient à tout le monde, il n’appartient à personne, il est utilisable pour la symbolisation. Le présentateur se doit de garantir cette fonction, il est le garant de ce cadre.
– L’animateur est du même côté que l’utilisateur / au médium, c’est une pratique du « côte à côte ».
– La différence tient dans la fonction de garant de l’utilisation « symbolique » du médium.
=>Le médium n’est pas l’objet d’une rivalité possessive.
°Il est « présenté » et « donné » pour l’utilisation.
°Il doit être « approprié » et « conquis » par l’utilisateur.
6) L’animateur-présentateur du médium est garant de la tension symbolisante du dispositif.
– Il ne fait pas d’interprétation de contenu (qui installent des résistances à la symbolisation).
– Les interventions sont destinées à optimiser l’utilisation du dispositif et du médium.
– Les interventions sont centrées sur l’utilisation de l’objeu et la survivance et le maintien de l’activité de symbolisation. Les seuls encouragements sont des encouragements à utiliser l’objet et à représenter.
– L’étayage est celui des besoins du moi, pas de gratification portant sur le contenu seul le processus est déterminant et doit être soutenu.
7) Chaque médium possède ses propriétés et limites propres, elles sont intrinsèques à sa matière même. Elles définissent le champ de ce qui est symbolisable avec ce médium-là, et ce qui bute sur sa matière. (Symbolisation de l’absence et de la limite de la symbolisation).
=>Un seul médium ne saurait suffire à tout, il faut au moins deux médium. Cf. la parole.
=>Problème de malléabilité du chois du médium.
8) Malléabilité du médium. Exemple de la pâte à modeler. Statuaire.
Saisissabilité, consistance propre, indestructibilité, fidélité, sensibilité, transformabilité, transfert des quantités en qualités, disponibilité etc.
9) Co-associativité et modèle du « squiggle ».
– Le matériel en lien avec le médium se présente comme un faisceau d’association utilisant le médium comme « induction », il s’agit donc d’une « associativité focale », focalisée (c’est la première méthode utilisée par Freud).
– Le travail du Y est un travail de co-associativité, son associativité prend la chaîne associative du patient comme objet inducteur, il en « fait » quelque chose par son propre jeu associatif ( Winnicott « le W se déroule là où les deux aires de jeux se chevauchent » se chevauchent ou se rencontrent).
– Le modèle général peut être donné par le « Squiggle game » de Winnicott, jeu dans lequel alterne ce que le sujet propose, ce que le Y fait de ce que le sujet propose (co-associativité), ce que le sujet fait de ce que le Y co-associe sur ce qu’il en a fait etc.