Langage du cadre 06
Colloque SPP 80°anniversaire (mutualité Paris).
LE « LANGAGE » DU CADRE ET LE TRANSFERT SUR LE CADRE.
R.Roussillon 18-11-06.
L’Importance actuelle de l’exploration des variantes du dispositif psychanalytique, en particulier dans les conjonctures cliniques dans lesquelles la souffrance narcissique-identitaire est au premier plan, ne doit pas compromettre la réflexion et le creusement de la théorie et de la compréhension de la situation psychanalytique originelle. Il y a une dialectique entre la question des aménagements du cadre et l’approfondissement de notre conception de la fonction psychanalytique de celui-ci. Plus nous creusons celle-ci, et plus nous avons de chance de comprendre les enjeux des aménagements que nous sommes éventuellement conduits à proposer. Si l’on peut considérer que le dispositif originel fut créé en lien avec les exigences de l’analyse des états névrotiques, si donc le cadre apparaît comme sur mesure pour ceux-ci, il a aussi néanmoins montré sa pertinence pour l’analyse de nombreuses conjonctures cliniques dans lesquelles les états « limites » ou la souffrance narcissique est au premier plan. La question du rapport des problématiques narcissiques-identitaires au dispositif psychanalytique et celle de l’analyse des enjeux de ce que j’ai proposé[1] de nommer le « transfert sur le cadre », sera à l’horizon de ma réflexion.
Pour faire travailler et avancer cette problématique, je me propose de partir de la question des rapports entre le cadre et les formes de la séduction qui viennent s’y transférer.
Le cadre et la question de la séduction.
L’histoire de l’instauration de la situation psychanalytique est inséparable de la problématique de la séduction, mais, comme nous le verrons, l’histoire de sa problèmatisation est, elle aussi, inséparable d’une forme de celle-ci.
À l’origine de l’invention du dispositif psychanalytique, comme j’ai essayé de le montrer[2], il y a le souci de mettre en place une situation destinée à tenter de faire face à la question de la place de la séduction libidinale dans l’hystérie, tenter de rendre analysable les potentialités séductrices du « montrer » hystérique en contraignant celles-ci à laisser la place à la seule expression verbale. Dans le même sens, dans son rapport de 1952, D.Lagache fait de la nécessité de se protéger contre la menace qu’encoure l’analyste d’une accusation de suggestion et de séduction, le mobile essentiel des particularités premières de l’instauration de la situation psychanalytique. Repousser le spectre de l’hypnose, écarter la menace que l’interprétation de l’analyste ne soit qu’une forme de suggestion ou d’induction et que le traitement psychanalytique ne soit qu’une forme de séduction, contribuent, tout autant que le souci d’instaurer une situation analysante, selon la formule de J.L.Donnet, à la trame des motifs qui président à l’invention de la situation psychanalytique originelle.
De la même manière, la libération totale des associations à partir de 1907, et l’analyse de l’homme aux rats[3], doit être comprise en lien avec la nécessité de faire pièce aux formes de la séduction « surmoïque » qui se déchaînent dans la névrose de contrainte. Car la séduction n’est pas que libidinale, le surmoi aussi peut en exercer une forme, il peut reprendre à son compte des motions pulsionnelles, il « plonge ses racines dans le Ça » dira Freud en 1923, qu’il retourne contre le Moi, qu’il retourne en contrainte pour le Moi. En confondant pensée, action et parole, le Surmoi peut conduire le moi à une véritable impasse existentielle. En 1907 Freud a une confiance suffisante dans le fait qu’il existe des « complexes inconscients » qui exercent leurs contraintes sur les associations, pour pouvoir libérer l’analysant des contraintes et suggestions que les premières formes de la méthode lui imposaient.
Dans les deux cas, le cadre et la méthode sont instaurés et évoluent, à partir du cadre de l’hypnose, pour tenter de faire cesser ce qu’il y a de suggestion-séduction éventuelle dans la situation psychanalytique, affin de rendre interprétable celle qui est issue de l’histoire et des personnages significatifs de celle-ci, celle qui est issue des emprunts faits par le sujet aux personnages significatifs de son histoire.
Le cadre témoigne alors du souci de l’analyste de ne pas exercer d’influence sur son analysant, et la construction du cadre « contient » le message de cette préoccupation chez l’analyste[4]. Il n’y a pas à proprement parler de problèmatisation du cadre dans ce premier temps d’invention et d’instauration, celle-ci proviendra du retour de la question de la séduction au cœur du cadre lui-même, et comme l’un de ses effets masqués, mais il s’agira alors de cette forme de séduction pour laquelle j’ai proposé le terme de « séduction narcissique » (R.Roussillon 1978, 1988, 1991).
Si dès les années 1920 et la question de la réaction thérapeutique négative, les réflexions de Freud commencent à se tourner vers les effets éventuels de séduction narcissique exercée par l’analyste, tenté de se donner comme modèle idéal (Freud 1923), c’est surtout dans la pratique de Ferenczi que l’on trouve les traces les plus nettes de la tentative de sa prise en compte. Cependant, comme j’ai pu le montrer ailleurs (R.Roussillon 1995 b)[5], Ferenczi ne parviendra pas à penser la problématique du cadre, il s’engagera dans une série d’aménagements de la situation analysante qui le conduiront à l’impasse technique de « l’analyse mutuelle ».
Ce n’est que dans l’après-guerre que la problématique du cadre commencera véritablement à être dégagée à partir de l’article maintenant célèbre d’I.Macalpine, et en France du rapport, déjà cité, de D.Lagache de 1952, travaux qui commencent à formuler la question de l’induction du transfert, de l’induction du transfert par la situation psychanalytique elle même. Cette question n’avait pas complètement échappé à Freud (1914), mais il s’était contenté de recommander à « l’analyste débutant » qu’il prend alors pour exemple, de ne rien annoncer à sa patiente à propos du transfert amoureux qui ne manquerait pas de se produire en cours de cure. Il soulignait alors la nécessité pour l’analyse du transfert, et les effets de conviction attendus de celle-ci, que celui-ci apparaisse comme « spontané ».
Mais « l’ombre du cadre était tombée sur le transfert », et ce dernier commençait à apparaître comme « induit » par le cadre, en même temps que son analyse exigeait qu’il apparaisse comme spontané[6], structurant ainsi ce que j’ai proposé d’appeler le paradoxe du transfert « induit-spontané ».
Le pas suivant fut franchi par le psychanalyste argentin J.Bleger (1967) qui proposa l’hypothèse que le cadre, le non-processus nécessaire au processus psychanalytique, était le réceptacle des parties les plus indifférenciées et symbiotiques de la personnalité. L’idée d’un transfert sur le cadre, non formulée cependant comme telle par Bleger, commençait néanmoins alors à devenir pensable, et la question de ce qui se joue de spécifique en rapport avec le cadre commença à passer sur le devant de la scène, en particulier dans les conjonctures cliniques où la problématique de la séduction narcissique est au premier plan. Dans celles-ci l’illusion nécessaire à l’analyse et au jeu du paradoxe du transfert induit-spontané est retournée en illusion négative, en menace d’intrusion et d’aliénation, le dispositif n’apparaît plus alors comme une formation transitionnelle de la psychanalyse et l’analyse voit se développer l’une ou l’autre des formes des « situations-limites » de la psychanalyse : transferts délirants (M.Little), passionnels (R.Roussillon), narcissiques (Kohut, Kernerg, Green…). L’alternative semble alors être la suivante : s’engager dans des aménagements de la situation analytique ou analyser, quand c’est possible, ce qui se joue électivement dans le rapport au cadre lui-même, analyser le transfert sur le cadre, non pas comme déplacement de ce qui se joue dans la relation à l’analyste, mais dans ce qui se transfère de spécifique sur le dispositif lui-même. C’est pour faire avancer la possibilité d’analyser le transfert sur le cadre, que les psychanalystes, et en particulier les analystes français[7], ont dû creuser la théorie du cadre et de la situation analysante.
Le « langage » du cadre et de la symbolisation.
À l’heure actuelle le cadre apparaît comme une situation qui va être conduite, en cours de cure, à symboliser la symbolisation elle-même, l’activité de symbolisation elle-même. Il représente autant les conditions de la symbolisation, ses lois, que celles de sa mise en œuvre efficace. Chaque élément du cadre, chaque particularité de sa construction, ne prend sens que dans ce qu’il porte symboliquement des conditions de la symbolisation.
Ainsi le cadre met en place les conditions d’une rencontre médiatisée par un contrat symbolique qui contraint aussi bien l’analysant que l’analyste et qui vaut comme « loi » instauratrice d’un processus d’élaboration. Il porte les limites nécessaires à tout travail de deuil et de symbolisation, limite dans les conditions de la rencontre (interdit du toucher, médiatisation par la seule parole…), limite dans la durée de la rencontre. Il assure les conditions d’une rencontre discontinue qui alterne, de manière régulière, présence et absence, et il assure ainsi à la fois les conditions d’une présence attentive et réfléchissante, et celle d’une solitude en présence de l’autre, donc autant la possibilité d’un lien engagé affectivement que d’une potentialité de distance et de séparation, que d’une solitude nécessaire au développement des processus « auto ». Il marque ce que coûte le travail psychique, il marque que le travail psychique ne coûte que cela.
S’il symbolise la symbolisation c’est qu’il contient une théorie de la symbolisation.
En effet chaque particularité du cadre « dit » et matérialise l’un des composants de la théorie de la symbolisation que la situation psychanalytique cherche à promouvoir. Il « contraint » à un mode de symbolisation qu’il privilégie, il « apprend » à l’analysant quelle symbolisation est acceptable ou souhaitée dans le dispositif, quel matériel est « signifiant » c’est-à-dire considéré comme « message », comme « signe » : le cadre fabrique du signe, il « sémaphorise ».
La motricité et la perception sont ainsi suspendues par la structure même de la situation : la symbolisation cherche à s’abstraire de la motricité, elle est acte interne, en représentation, « déménagement », c’est-à-dire métaphore (méta-phorein) pour les grecs. Elle cherche à s’abstraire de la perception, elle est insight, regard sur les représentations internes. Ceci implique que dans la situation psychanalytique les seuls messages signifiants sont ceux qui passent par l’appareil de langage : on symbolise en parlant et seulement en parlant. Par ailleurs, l’analyste est placé en dehors de la perception visuelle de l’analysant, ce qui « signifie » potentiellement une certaine forme d’absence, et que la symbolisation est symbolisation de l’absence, en l’absence de l’objet, ou du moins dans une capacité d’être seul en présence de l’autre.
Mais le cadre « dit » tout cela de manière « muette », il le met en acte, il ne le formule pas, il l’instaure de fait les conditions de la symbolisation. Il contraint de fait la situation, il dit « en force », « en acte », « de fait ». Il est porteur d’un « message » sur la situation, mais d’un message qui utilise les représentations de choses et pas les représentations de mots, d’un message qui tend à s’adresser directement à l’inconscient du sujet, qui reste en partie énigmatique, que celui-ci va devoir interpréter en fonction de son fonctionnement psychique et de ce qu’il transfère sur la situation. Ainsi le cadre dit « en acte » en « fait » ce que la règle dit en mot, à l’aide des représentations de mots, il dit comment la règle peut être mise en œuvre. Il est à la fois muet et parlant, il est muet sur un registre celui de la symbolisation secondaire, celle qui passe par les processus secondaires, il est « parlant » sur un autre registre celui de la symbolisation primaire, celle qui passe par les représentations de chose et d’acte, mais ce qu’il « dit » ainsi en chose, est alors potentiellement énigmatique et va devoir être symbolisé et signifié par l’analysant. Il crée ainsi une tension entre les deux registres.
Trois ordres, trois niveaux de symbolisation.
Trois niveaux de symbolisation sont alors impliqués dans la situation psychanalytique.
Il y a tout d’abord le niveau de la symbolisation secondaire représenté par la formulation de la règle fondamentale, et par tout ce qui peut être explicité des raisons de l’organisation concrète du cadre. Ce qui fait que la situation est structurée comme cela et pas autrement, et ce qui peut en être dit, ou explicité au besoin, du côté de l’analyste, et tout ce que l’analysant peut penser consciemment ou pré-consciemment des conditions de la rencontre.
Il y a ensuite le niveau de la symbolisation primaire, ce que dit le cadre en acte et en fait et la manière dont l’analysant vit cette situation, l’infiltration imaginaire de la situation, les fantasmes qui sont sous-jacents à son investissement du dispositif, ce qu’il transfère donc sur le dispositif, la manière dont il symbolise celui-ci, ce qui nous permet de revenir sur la question de la séduction.
Par exemple dans la célèbre analyse de l’homme aux rats, analyse précieuse dans la mesure où nous avons le détail des séances au pas à pas de celles-ci, mais aussi en ceci qu’elle est la première analyse conduite avec la règle de l’association libre. On peut suivre les associations de l’homme aux rats en fonction de la manière dont il tente de symboliser la situation et le cadre psychanalytique.
D’emblée dans la première séance la situation est menacée de séduction. Le patient évoque un Dr Levi, qui s’est présenté à lui comme un ami dans le but de séduire sa sœur, il poursuit en évoquant une série de situation de séduction, où différentes gouvernantes l’ont laissé explorer leur intimité, mais finalement pour l’humilier ou ne le considérer que comme un petit garçon châtré. On le séduit puis le rejette.
Tout cela s’entend « dans le transfert » comme on dit, c’est-à-dire comme la manière dont l’homme aux rats vit lui-même la situation que Freud lui propose, c’est-à-dire la manière dont il tente d’élaborer la séduction qu’exerce la situation psychanalytique sur lui.
Cela pour la première séance, qu’il faudrait avoir la place de reprendre en détail. Lors de la seconde séance, ainsi introduite et contextualisée par les associations de la première, le patient va évoquer le fameux supplice des rats. Ce supplice, il ne peut le mettre en mot, la représentation interne du supplice l’oblige à se lever du divan en proie à une intense émotion, la représentation est actualisation, elle est comme l’accomplissement même de la chose représentée. Ce supplice, un homme est assis sur un bocal qui contient sur rat affamé qui ne peut sortir du piège qu’en s’enfonçant dans l’anus du supplicié et en dévorant ainsi les intérieurs de celui-ci, ne peut être totalement évoqué. Il ne produit un tel effet sur l’homme aux rats que du fait de sa proximité avec le fantasme inconscient du patient actualisé en séance, c’est-à-dire avec sa représentation inconsciente de la situation psychanalytique. C’est au point de rencontre du fantasme avec la situation psychanalytique que le symptôme de séance se produit. Le bocal aux rats représente le cadre, le rat symbolise Freud qui, par derrière, veut s’enfoncer en lui et lui « dévorer » ses intérieurs par l’analyse etc.
Entre le niveau de symbolisation secondaire, l’homme aux rats vient pour une analyse destinée à l’aider dans ses difficultés, Freud est donc un « ami » qui va l’aider etc., et le niveau de symbolisation primaire, où opère la menace de séduction, Freud est un rat qui veut s’emparer de ses intérieurs avec violence, il y a un hiatus, un écart, une béance, un champ de tension.
L’analyse va se dérouler dans cet entre deux, comme réduction progressive de la tension essentielle entre les deux niveaux de symbolisation. Par assouplissement de la symbolisation secondaire et complexification progressive de celle-ci, par élaboration progressive de la symbolisation primaire, le hiatus va progressivement être réduit et les conditions d’une « symbolisation tertiaire » (Green), intermédiaire (Freud), transitionnelle (Winnicott), vont se développer qui permettront au sujet de plus être déchiré entre deux niveaux de représentations inconciliables. Le processus psychanalytique se joue dans cet entre deux et comme réduction du hiatus de cet entre deux, de ces deux manières de symboliser le cadre et la situation psychanalytique.
Les transformations dans le cadre et la « séduction » narcissique.
Mais un tel processus ne se produit que si la situation est utilisée par l’analysant, c’est-à-dire que si sa topique interne tend à se projeter (D.Anzieu) sur la situation analysante, que si elle en vient à se superposer à celle-ci, que si les objets qu’elle comporte et les différents éléments qui la constituent deviennent porteurs de pans entiers de la psyché de l’analysant. On conçoit, soit dit en passant, que la situation devienne alors « sacrée », les éléments et caractéristiques qui la composent ne sont plus seulement des données objectives, ils abritent les fonctions psychiques les plus essentielles de l’analysant.
Quand le cadre est ainsi utilisé, l’engagement transférentiel dans la situation psychanalytique produit des modifications du fonctionnement de la psyché, modifications et transformations elles-mêmes nécessaires à utilisation de la situation analysante. La métaphore que Freud utilise pour faire comprendre au patient ce qu’il attend de lui, est une très bonne description des différentes transformations induites par le cadre et la règle qui l’organise. Freud présente la règle fondamentale de la manière suivante ; « Imaginez dit-il à l’analysant, que vous êtes dans un train qui roule, vous regardez le paysage qui défile sous vos yeux et vous le décrivez à quelqu’un qui ne le voit pas ».
Une telle formulation décrit une série de transformations qu’il n’est pas inutile de clarifier. Tout d’abord le train roule, il y a un mouvement qui est celui de la vie pulsionnelle, qui est celui de ce que le patient engage dans le transfert. C’est le premier temps, le préalable. Ensuite le mouvement « anime » le paysage intérieur du sujet et produit donc une transformation du mouvement pulsionnel en une représentation visuelle, la pulsion est représentée sous forme de représentations de choses « visuelles »,, comme dans le rêve, elle produit une pensée en image, en fantasme. Elle développe l’insight, le regard sur les paysages intérieurs. C’est bien pour que ce travail puisse s’effectuer que la situation restreint la motricité et la perception visuelle de l’analyste, c’est bien pour que la suspension de la motricité et de la perception « produisent » un jeu d’images intérieures, se transfèrent et se transforment en cette dynamique interne des images et fantasmes. Puis ce qui a ainsi été mis en représentations de choses visuelles, va devoir être « traduit » en représentations de mots, va devoir être transféré dans l’appareil à langage et être adressé à l’analyste.
Freud arrête la description des transformations à ce stade, mais ses successeurs ont prolongé la réflexion de Freud au-delà.
Green a souligné qu’il y avait un véritable processus de transfert sur le langage qui se développait ainsi dans la mesure où tout doit finir par passer par la parole. J’ai pu, à mon tour, faire remarquer, en complément, que le transfert sur la parole et le langage modifiait aussi le statut de la parole, et que la parole tendait à devenir l’agent d’un appareil d’action, d’action dans et par le langage. Le transfert est une forme d’action par la parole, il est agieren comme le dit l’Allemand, il est mise en acte (de langage) de l’histoire. Du coup on peut avancer que l’enjeu du travail psychanalytique sera de tenter de transformer cette action en une forme de jeu, susceptible de rétablir ou de dégager les potentialités symbolisantes de celui-ci, et ainsi de permettre le travail de mise en sens nécessaire à l’appropriation subjective.
Dans les conjonctures transférentielles dans lesquelles la question de la souffrance narcissique-identitaire joue un rôle prédominant, les transformations impliquées par le fonctionnement de la situation psychanalytique sont vécues comme des menaces pour l’identité, elles sont vécues sur le mode d’une menace d’influence par l’analyste et l’analyse. Elles appellent et attirent alors à elles, le transfert des conjonctures historiques dans lesquelles s’est exercée une forme de séduction narcissique sur le sujet, et ces situations historiques viennent se « mêler à la conversation », avec une « fidélité indésirable » (Freud). Les exigences issues du cadre, et du mode de fonctionnement auquel il contraint, mettent l’analysant en échec, ou réveillent les vécus historiques d’échec de ses capacités de symbolisation, il menace les aménagements psychiques qu’il a pu mettre en œuvre pour pallier les effets de la conjoncture traumatique, ses « solutions » post-traumatiques.
La situation psychanalytique, dès lors, ne symbolise plus pour le sujet la symbolisation, l’activité de symbolisation, comme il se devrait, mais, à l’inverse, l’un de ses traumas historiques. Et de telle manière que le jeu de l’illusion nécessaire à l’analyse du transfert se trouve être menacé d’être dissout par les conditions de la rencontre analytique. Se créent ainsi ce que j’ai proposé de nommer des « situations-limites » de la psychanalyse, qui chauffent à blanc les conditions de l’analyse et menacent le processus d’une forme de désymbolisation. La situation psychanalytique ne symbolise plus la symbolisation mais, à l’inverse, la désymbolisation, ce qui se marque souvent par un accroissement de la destructivité ou des effets de faux, à moins que la passivité ne prenne la forme de la passivation. Si l’analyste n’est pas en mesure de reconnaître quelle situation historique de désymbolisation, de trauma de l’activité symbolisante, vient ainsi s’actualiser et se transférer sur le cadre, il est alors en grande difficulté pour dégager la situation de ce qui vient ainsi « mettre le feu » à la représentation en cours (Freud 1914).
Comme J.L.Donnet l’a très judicieusement fait remarquer en commentaire de l’article de Bleger cité plus haut, on ne peut analyser le cadre, car se serait alors « sauter par dessus son ombre », mais cela ne conduit pas pour autant l’analyse à nécessairement envisager d’aménager la situation. Il est souvent possible d’analyser, non le cadre, le cadre ne saurait être analysé, mais ce qui se transfère sur lui au point de se superposer à lui, c’est-à-dire en fonction de quelle expérience historique traumatique il est signifié, en fonction de quel trauma de l’espace de symbolisation il est interprété par l’analysant.
Ainsi ce qui se donne au plan manifeste comme « attaque du cadre » et est habituellement référé à des processus de désymbolisation, gagne en fait à être aussi entendu comme une manière de « symboliser la désymbolisation » des expériences engagées, l’impact de la dèsymbolisation des expériences traumatiques. La référence à l’existence d’une forme spécifique de transfert sur le cadre ouvre ainsi un nouveau champ pour l’analyse, la situation psychanalytique , situation symbolisante par excellence est elle-même à symbolisée, et elle l’est en fonction de l’histoire singulière de la symbolisation pour l’analysant, des réussites et aléas de celle-ci.
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[1] R.Roussillon 1978, 1988, 1991.
[2] R.Roussillon (1995), Du baquet de Mesmer au baquet de Freud, PUF.
[3] La règle de l’association libre date de l’analyse de l’homme aux rats, sans doute la première cure conduite à l’aide cette règle comme les minutes de la société nous l’apprennent, avant cette date l’association peut être dite « focale », c’est l’analyste qui propose le « thème » de l’association du moment, qui contrôle étroitement les associations comme l’analyse de Dora le montre par exemple.
[4] R.Roussillon (1995a), Logiques et archéologiques du cadre psychanalytique, PUF.
[5]R.Roussillon (1995b)« L’aventure technique de Ferenczi » In coll. : Sandor Ferenczi pp.99-110 Monographies de la RFP, Paris, PUF, 1995.
[6] R.Roussillon 1990 « Le pacte dénégatoire et le transfert sur le cadre » Journée d’études C.E.R.P.P. « Figures et variations du Transfert » Paris, Bibliothèque Nationale, novembre 1990, publié in Le transfert en extension, sous la direction de P-A.Raoult, L’Harmattan 2000.
[7] On ne peut rendre justice à tous ceux qui ont contribué à ces avancées mais les travaux de J.L.Donnet et ceux d’A.Green méritent ici une mention spéciale, ils ont beaucoup influencé mes propres élaborations.