3° Séminaire GLP 2013-14 primaire.secondaire
Séminaire de la direction de l’institut de psychanalyse (4 Avril 2014).
Le cours des évènements psychiques : processus primaires et processus secondaires.
Selon une habitude à laquelle vous avez commencé à vous familiariser, quand je commence à me mettre au travail je « découvre » que la « simplicité du programme proposé se heurte à des complexités irréductibles et je suis obligé, pour en tenir compte de modifier la programmation.
Il en va de nouveau ainsi dans la mesure où il m’est apparu au fur et à mesure que je creusais la question, qu’il était bien difficile de séparer le processus primaire et le processus secondaire dans la mesure où c’est au couple primaire / secondaire que nous avons affaire et que l’un ne peut être pensé sans l’autre. Il y a donc une forme de préalable qui concerne d’une part le concept de processus et d’autre part le couple primaire / secondaire et son sens au sein de la métapsychologie.
Par ailleurs contrairement a ce que j’ai pensé je ne serais pas disponible le 7 février il y aura donc une séance de reprise le 7 février où je ne serais pas, il faudrait envisager comment et avec qui cette séance va avoir lieu, quels analystes en formation ou membre du GLP sont intéressés par un retour sur la question du processus.
1-Introduction : la question des processus et la métapsychologie des processus.
Avec la question des processus primaires et secondaire on s’engage dans la question d’une métapsychologie des processus qui représente sans doute le noyau commun des diverses théories psychanalytiques, le point où la psychanalyse est le moins menacé de devenir une idéologie.
Ce serait le plus petit commun dénominateur des psychanalystes qui se réclament de la pensée de S. Freud ou du moins me paraît-il fécond d’y engager la question d’un ensemble commun de référence, d’un noyau identitaire de la psychanalyse. Ouvrir la question d’un fonds théorique commun me parait relever d’une nécessité théorique et institutionnelle, au-delà des diversités qui parcourent nos sociétés et nos débats, pour permettre que ces diversités soient fécondes et non chaotiques.
Ce fonds théorique doit obéir à un certain nombre d’exigences cohérentes avec les contraintes fondamentales de la pratique de la psychanalyse qui reste l’assise première de la théorie psychanalytique, même si, dans l’histoire du mouvement psychanalytique, il n’en va pas toujours ainsi.
Ainsi une première caractéristique d’une métapsychologie des processus sera-t-elle qu’elle aborde l’ensemble des questions de la vie psychique sans préconception du monde ou de l’homme sans théorie préétablie, « sans morale » de l’histoire.
Elle définit simplement l’appareil psychique comme un appareil de travail et de création, un appareil de classement, de traitement, de catégorisation, de combinaison, de mémorisation, de liaison et de représentation symbolique, c’est-à-dire un ensemble de processus de transformation des données, informations, énergies venues aussi bien du dehors que du dedans, de l’actuel que du passé. Ainsi par exemple lorsque S. Freud, dans le Chapitre VII de l’interprétation des rêves, décrit au sein du fonctionnement de l’appareil psychique, les principes et processus de production du rêve, ce qu’il énonce concerne des modalités de traitement psychique — le travail du rêve — il ne se prononce pas sur des contenus particuliers. Un énoncé comme “le rêve est une réalisation de désir déguisée” — ou plus tard une « tentative » de réalisation de désir — ne dit pas de quel désir particulier il s’agit, il se prononce sur le processus pas sur le contenu, s’il propose une théorie du fonctionnement psychique, il ne propose pas une théorie du monde. Le seul désir toujours repérable, invariant dans sa singularité est un désir-auto, il porte sur le processus lui-même, ce serait le désir de rêver pour dormir, le désir de dormir; tous les autres désirs — infantiles et actuels — sont contingents. C’est cette particularité qui confère à la métapsychologie sa position simultanément intermédiaire et en même temps méta-psychologique, c’est-à-dire au-delà des psychologies particulières qui impliquent, elles, une théorie du monde.
Grâce à la position méta des énoncés de la métapsychologie freudienne, rien n’est a priori exclu de son champ, tout phénomène psychique, tout processus, tout mouvement psychique, toute expérience vécue doit pouvoir être décrit métapsychologiquement, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu’ainsi on cerne le tout du processus, mais qu’il y a toujours un abord métapsychologique possible du fait psychique quel qu’il soit. Rien n’est exclu a priori de l’abord métapsychologique, de la même manière que rien ne peut être exclu a priori du travail psychanalytique. Nous verrons tout l’intérêt d’un tel principe lorsque la question se posera d’interpréter la théorie elle-même.
Cependant si la métapsychologie des processus permet potentiellement de décrire tous les phénomènes du psychisme, elle ne constitue pas pour autant un système totalisateur, c’est là le grand tour de force de l’épistémologie psychanalytique sans doute singulier dans les sciences de l’homme et du vivant : pouvoir tout décrire sans totalisation systématique.
Nous savons combien la tentation est grande chez certains psychanalystes de s’adosser aux épistémologies des autres sciences du vivant pour y puiser des modèles. La démarche inverse serait sans doute tout aussi pertinente, le dispositif théorique réalisé par la métapsychologie des processus pourrait aussi bien servir de modèle à la construction des « objets théoriques » des sciences de la vie.
La construction du fait psychique à l’aide d’une théorie conjoignant simultanément trois points de vues, produit une conjoncture théorique tout à fait spécifique. S. Freud insiste en effet à différentes reprises sur la caractéristique principale de la conception métapsychologique ; elle doit s’effectuer différentiellement à partir de chacun des trois points de vue qui la constituent et ceci sans primat de l’un ou de l’autre de ces vertex. Une description métapsychologique ne sera complète — c’est-à-dire réellement métapsychologique — que si elle peut entrecroiser à la fois une description topique, dynamique et économique. C’est au chiasme de cette triple perspective, surgissant de la simultanéité de trois abords décalés les uns par rapport aux autres, non superposables, que le fait psychique reçoit un statut métapsychologique véritable. Une telle perspective décrit un champ de travail en tension permanente, multipolarisé. Elle produit moins une totalitarisation du fait, qu’un maillage théorique qui contient le travail psychique sans l’assigner ni le fixer. Nous verrons plus loin que la métapsychologie réalise ainsi une description rigoureuse des faits psychiques sans pour autant figer la vie et la créativité potentielle qu’ils comportent, sans pour autant leur conférer une détermination, c’est là son paradoxe et tout son intérêt.
Ce dispositif théorique -le triple point de vue- est nécessaire au maintien de la métapsychologie[1] en position intermédiaire. Qu’un point de vue soit évincé de la description, qu’un autre soit au contraire privilégié dans la théorie, et l’idéologie, la conception a priori du monde, la dissidence font retour dans la métapsychologie et lui font perdre sa caractéristique méta. La métapsychologie des processus ne peut en effet être simplement cernée à partir de ses points de vue constitutifs posés une fois pour toutes, elle ne maintient sa pertinence et son essence que par un travail permanent de ressaisie et de déconstruction de ses propres fondements. C’est le sens de la nécessité de l’opération auto-méta soulignée par J.L. Donnet, qui fait partie intégrante de la métapsychologie : elle implique dans son rapport à elle-même une aufhebung de son propre parcours. Elle doit pouvoir s’interpréter elle-même. Ce qui veut dire que la métapsychologie ne saurait être réduite à un certain nombre d’énoncés fondateurs et immuables, elle inclue nécessairement un rapport réflexif à elle-même qui porte la marque de son objet : la subjectivité.
La métapsychologie des processus permet ainsi une psychanalyse centrée sur la générativité associative, c’est-à-dire le développement des capacités de métabolisation de l’expérience subjective présente ou passée.
2- la question de l’opposition primaire / secondaire.
A priori on pourrait considérer que pour tout psychanalyste l’opposition processus primaire/processus secondaire est acquise et ne fait pas problème. L’évidence de l’opposition, de la pertinence de ses traits discriminatifs expliquerait la rareté des travaux qui lui sont consacrés, ou plutôt qui sont consacrés à la forme et à la nature de cette opposition.
Cependant, à considérer les choses plus en détail, on s’aviserait que cette rareté témoigne peut-être aussi d’un malaise de la psychanalyse actuelle, voire d’un véritable symptôme théorique qui a surgit à la fois de l’évolution implicite de la pensée de S. Freud à cet égard et aussi de l’évolution de la clinique et de la théorisation métapsychologique des dernières années.
La première difficulté a trait à la définition même du sens de l’opposition.
*D’un côté, et cela correspond incontestablement à une première direction de la pensée de S. Freud, elle prendrait une valeur chronologique et génétique. Les processus primaires seraient premiers, d’emblée mis en place, les processus secondaires s’établissant secondairement après la mise en place du principe de réalité. Il y aurait ainsi un temps de la petite enfance où règneraient seuls les processus primaires, puis un temps où pourraient se développer les processus secondaires qui prendraient aussi le relais. Et il y aurait — par récapitulation interne — un temps « primaire » de la métabolisation pulsionnelle auquel succéderait un temps « secondaire » de celle-ci.
*Cependant, d’un autre côté, S. Freud signale l’existence d’emblée présente d’un moi-réalité agissant dès l’origine, ce qui conférerait à l’opposition primaire/secondaire une valeur structurale, qui définirait les termes d’un conflit synchronique fondamental dans le mode de traitement des contenus psychiques. La tendance actuelle de la pensée psychanalytique[2] irait plutôt dans ce sens, plus congruant avec la seconde métapsychologie. De toute manière, le caractère « extra temporel » du processus primaire rendrait caduque une partie du problème de la primauté de l’action des processus primaires dans le processus d’intégration pulsionnelle.
Par contre, la question de l’établissement progressif dans le développement de l’opposition primaire/secondaire soulève quelques questions qu’il est nécessaire de clarifier.
Tout d’abord la notion d’un processus primaire sans processus secondaire paraît difficilement concevable, tant le couple se fonde dans la dialectique et l’hétéromorphie des termes qui le constituent. Cela signifierait, en outre, que le processus hallucinatoire se maintiendrait pendant une longue période sans contrepoint perceptif ; ce qui, sous cette forme, contrevient à l’expérience clinique.
Notre connaissance de l’épigénèse du développement psychique plaiderait plutôt en la faveur d’une co-fondation structurale du primaire et du secondaire, l’un n’allant pas sans l’autre. Cette co-fondation serait présente d’emblée ou s’établirait secondairement en remplacement d’un autre type de processus plus primitif, dont seraient issus, après mutation, le processus primaire et le processus secondaire[3]. Ce qui doit retenir pour l’instant notre attention est le problème théorique posé par l’idée d’une opposition primaire/secondaire tôt formée et à l’origine d’une première forme de topique psychique.
Le processus secondaire tel que S. Freud le décrit dans le chapitre VII de l’interprétation des rêves suppose (entre autres) la capacité à la négation et l’existence d’un temps chronologique organisé. L’acquisition de la temporalité secondaire véritable est tardive, l’acquisition de la capacité à la négation est plus précoce mais néanmoins secondaire et de toute façon elle n’a pas les mêmes caractéristiques que le principe de non-contradiction que S. Freud lui confère en 1900.
Autrement dit, si l’on maintient l’idée d’une opposition primaire/secondaire structurale alors il est nécessaire de considérer que celle-ci doit varier dans le développement. En d’autres termes, si l’opposition est structurale, les traits pertinents qui la constituent varient nécessairement dans le temps. Il y a donc lieu de décrire une histoire des formes de l’opposition primaire/secondaire, ce qui implique différents types d’opposition, que nous aurons à ressaisir à partir de la reprise du modèle proposé par S. Freud en 1900.
Un second argument plaide en la faveur d’une reprise des traits discriminatifs de l’opposition primaire/secondaire. Celui-ci est tiré de la clinique, notamment des fonctionnements psychiques clivés. La clinique des réseaux associatifs des fonctionnements psychique clivés montre à l’évidence que n’y opère pas le principe de non-contradiction de la secondarisation. Non pas que celle-ci soit suspendue, par exemple au nom du respect de la règle fondamentale dans le dispositif analytique, mais elle n’opère pas. La simultanéité (sans réflexivité), relevée par S. Freud dans l’article sur le clivage du moi de 1937, de deux courants antagonistes (l’un qui perçoit la différence des sexes, l’autre qui la méconnaît) agissant de concert dans le moi secondarisé, mais dans deux secteurs clivés de celui-ci, en est l’exemple archétypique. Mais nos élaborations cliniques actuelles pourraient en multiplier les formes dans la clinique psychosomatique, celle de la psychose ou des états dits « limites », etc. Si ces modes de fonctionnement psychique présentent bien quand même un mode d’opposition topique et structural entre processus primaire et processus secondaires, les discriminants de cette opposition ne sont pas les mêmes que dans les modes de fonctionnements psychiques, disons « suffisamment » névrotiques et fondés sur le refoulement. Ils substituent à la verticalité de cette opposition des formes horizontales opposant le centre à la périphérie ou le retournement de l’un des pôles en l’autre, en bande de Mœbus, ou encore des univers parallèles, sans réflexivité des uns sur les autres. Cette carence de réflexivité est d’ailleurs sans doute le point nodal, quelque chose du processus ne s’entend pas, ne se voit ou ne se sent pas du sujet à lui-même. Inversement la logique de la non contradiction suppose un sujet dans un rapport réflexif à lui-même, au moins à minima.
Les deux arguments précédents me conduisent à proposer de considérer dans la ligne profilée parfois par Freud, que l’opposition primaire/secondaire est structurale, mais que ses formes concrètes varient dans le temps et selon les types d’organisation psychique. Ceci implique d’ailleurs à la fois une solidarité du type de processus secondaire avec le type de processus primaire qui lui correspond et l’existence de différents types de processus primaires et donc de différents types de processus secondaires.
Mais dès lors se pose le problème de la nature et des traits caractéristiques de l’opposition structurelle primaire/secondaire, problème qu’il nous faut examiner maintenant.
3-Le modèle de l’opposition primaire/secondaire de 1900
S. Freud n’a pas proposé de schéma systématique de l’opposition des processus primaires et des processus secondaires dans le grand chapitre métapsychologique de l’interprétation des rêves (Chapitre VII), cependant une lecture attentive permet d’extraire de son texte les discriminants de l’opposition qu’il fait concrètement jouer et qu’il précisera en 1915. Le mieux, pour synthétiser ce travail, est de le présenter sous la forme d’un tableau faisant correspondre point à point les termes de l’opposition en soulignant cependant que ce type de correspondance est approximatif dans la mesure où règne une hétéromorphie des processus, ce qui suppose un écart dans le système des correspondances point à point.
Processus primaire | Processus secondaire |
Energie non liée | Energie liée |
Identité de perception | Identité de pensée |
Pas de négation | Négation |
Déplacement condensation sur- détermination, etc. | Logique de la
non contradiction |
Représentation-chose (visuelle) | Représentation-mot |
Pas de temps | Temporalité chronologique |
Idiosyncrasie | Conventionalité |
Commentons rapidement les principaux de ces traits discriminatifs qui vont subir un travail élaboratif dans la pensée de S. Freud.
La liaison énergétique
Le problème de l’absence de liaison au sein du processus primaire va assez vite se poser dans la pensée de S. Freud, même si celui-ci ne revient pas formellement sur cet énoncé. Cette question sera à l’origine d’une différenciation dans le primaire lui-même et les formes de l’inconscient. Jalonnons rapidement, à titre indicatif, la ligne évolutive.
Tout d’abord, il existe des modes associatifs inconscients qui s’exercent par simultanéité et contiguïté ; ils constituent bien un certain type de liaison. Ensuite, l’introduction du concept de « complexe Inconscient » signale l’existence, au sein des processus primaires et de l’inconscient qui les caractérisent, d’ensembles organisés et donc liés solidairement entre eux. Les travaux de S. Freud sur la névrose de contrainte vont ajouter à l’idée d’une contrainte de l’Ics la notion d’une contrainte dans l’Ics. C’est cette reconnaissance qui permettra à S. Freud de lâcher complètement la bride au jeu associatif des analysants (1907). La liberté associative révélant alors encore plus nettement l’existence de contraintes associatives issues des liaisons inconscientes primaires, du « complexe inconscient ». Le narcissisme et ses formations, inconscientes et primaires en partie, fournira le concept d’un système d’auto-investissement et donc de liens qui débordent largement le champ de la secondarité. L’introduction du concept de moi, puis celui de « résistance inconsciente du moi » (1923), puis d’une partie inconsciente des formations instancielles du moi (idéal du Moi-Surmoi) ne feront que renforcer la tendance à considérer qu’une partie de la vie psychique inconsciente est liée et que la circulation énergétique inconsciente n’est pas « libre ». La distinction proposée en 1923 de trois Inconscients différents (pour mémoire le Pcs, l’Ics, le Ça) contient implicitement la description de deux registres du primaire. Celui de l’Ics— et en particulier de la partie Ics du moi qui ne saurait être conçue comme un système non-lié dans la mesure même où il appartient au moi[4] — et celui du Ça qui lui-même, par l’ensemble des traces dont S. Freud va le doter, (les traces phyllogénétiques en particulier) recevra aussi un certain mode de « liaison ». La co-excitation libidinale ou sexuelle primaire pousse au lien.
Petit à petit, donc, l’opposition lié/non lié va se déconstruire au profit d’une inflexion qui ne recoupe plus l’opposition primaire/secondaire mais la traverse, pour analyser les processus de liaison et de déliaison dans chacun des systèmes psychiques. Liaison et liaison fixe, fixée, se disjoignent au profit de la prise en considération du type de lien, de l’organisation différentielle des types de liaisons/déliaisons tout au long du parcours psychique, des modalités de la circulation intrasystémiques. La question n’est plus lié ou non-lié, mais lié comment ? Par quels types de liens, ou déliés comment ? Il faut différencier ce qui est lié par/dans des modalités symboliques de liens et ce qui est lié par des modalités non-symboliques (liaison biologiques, comportementale, interactive etc.[5]) et qu’il faut aussi différencier les modes de liaison symbolique primaire de modes liaison symbolique secondaire. Car nous soulignerons plus loin l’importance clinique et théorique de la mise en évidence de systèmes de liaisons primaires sous la forme de type de symbolisation primaire, issues des premières formes du travail du moi infantile.
Identité de pensée/identité de perception
En 1900, quand il propose ce trait de l’opposition, S. Freud vise implicitement l’opposition entre simple représentation et hallucination ou activation hallucinatoire de la représentation dans le système onirique. Le concept d’identité de perception comporte dans ce contexte une ambiguïté dans la mesure où précisément la perception dont il est question surgit d’un processus hallucinatoire. A cette époque et depuis l’Esquisse, S. Freud conçoit la différence entre représentation (de chose) et hallucination (onirique) à partir de l’intensité de l’investissement et/ou du jeu activation/désactivation du système perception/conscience. Un investissement fort subvertit le système perception/conscience (hallucination), la désactivation de l’épreuve de réalité du système perception/conscience (dans le rêve) suffit à transformer la représentation de chose activée en hallucination onirique.
La difficulté viendra postérieurement de la difficulté de penser le processus hallucinatoire psychotique avec ce modèle qui semble rendre (est d’abord interprété comme) antinomique hallucination et perception, et identifie l’hallucination onirique, qui est un retour de la représentation à l’hallucination, et l’hallucination psychotique, qui témoigne du retour non d’une représentation mais d’une perception non subjectivement vécue comme une représentation. Nous reviendrons en détail sur cette question quand nous reprendrons la question de l’hallucination. Il nous faut plutôt, pour l’instant, souligner que la difficulté concerne à la fois le statut de l’identité de perception dans son rapport avec l’hallucination, mais aussi celui de l’identité de pensée. L’introduction dès 1907 de la question de la pensée animique, celle de la pensée magique dans la névrose de contrainte puis dans Totem et Tabou, qui ajoute aussi la distinction entre la pensée religieuse et la pensée scientifique —, compliquent considérablement cette question. Les textes plus tardifs, comme l’Avenir d’une illusion ou Malaise dans la civilisation, semblent introduire en plus l’idée d’une (le concept n’est pas de S. Freud) pensée idéologique[6].
De l’ensemble de ces modalités de pensée, seule la pensée dite scientifique obéit à la stricte opposition identité de perception/identité de pensée, les autres formes reposent toutes sur une levée plus ou moins partielle de cette opposition catégorielle. Soit à partir de la mise en œuvre d’un déni, soit comme dans l’animisme infantile, le jeu ou l’art à partir de la création de formations intermédiaires qui mêlent étroitement représentation et perception, identité de pensée et identité de perception, et dans lesquelles l’identité de perception soutient l’identité de pensée et la rend possible ( ce sera toute la question de la de l’intermédiaire chez Freud de la transitionalité chez D.W.Winnicott ou du tertiaire chez Green). Nous retrouvons ici la difficulté déjà soulignée ; entre le primaire et le secondaire s’intercalent des formations intermédiaires, des symbolisations « primaires » issues de l’animisme infantile et du jeu, qui résultent de l’histoire de l’organisation de la topique et de la symbolisation-chose infantile secondairement refoulée. Ces formations sont « secondaires » dans l’enfance et « primaires » quand la topique post-œdipienne est instaurée.
L’introduction dans la seconde topique (mais la préforme en est présentée chez S. Freud dès 1907) d’un « moi » inconscient modifie la nature de l’opposition identité de perception/identité de pensée et ceci des deux côtés des polarités en opposition. Dans la ligne que nous avons déjà profilée à différentes reprises il faudrait ajouter à l’exploration de cette question celle des indices « auto » ou « méta » qui servent à différencier perception et représentation, identité de pensée, dans la pensée.
La temporalité
Quand en 1900 S. Freud propose le temps comme discriminant de l’opposition primaire/secondaire, il pense manifestement surtout au temps chronologique, c’est-à-dire au temps vectorisé par l’histoire.
Cependant, là encore dès l’Esquisse, il avait introduit la période, espèce de temps pulsatile qui n’obéit pas en propre aux processus secondaires, pas plus d’ailleurs à strictement parler, que le temps du diphasisme[7] et de l’après-coup. Totem et Tabou introduira des temps cycliques, un temps du retour périodique du même. Après 1920, la temporalité pulsatile périodique fait retour (dans Au-delà du principe du plaisir puis dans la conception qualitative du plaisir/déplaisir en 1925 dans l’essai sur le masochisme) là encore à un niveau qui ne peut être strictement « secondaire ». Le rythme enfin interroge un rapport à la temporalité qui plonge ses racines dans le processus primaire souvent au plus près du rythme somatique et des premières traces mnésiques des expériences corporelles et motrices.
Je rappelle de nouveau que je ne cherche pas dans cette énumération à traiter le problème de la temporalité, mon objectif est de préciser le « chantier » métapsychologique dans lequel l’opposition primaire/secondaire, telle qu’elle se présente en 1900, est prise pour faire apparaître la complexité des questions que l’évolution postérieure de la pensée révèle et ceci pour aboutir à une départicularisation du modèle 1900.
Le point le plus décisif concerne le fait que dans la première partie de l’enfance la temporalité n’est pas organisée suivant un mode chronologique, alors qu’il y a une pertinence clinique à maintenir l’opposition structurale entre le primaire et le secondaire. Il n’y a pas de liaison sans qu’une certaine tension intrasystémique ne soit endurée et pas de capacité à supporter la tension sans une forme d’organisation temporelle au moins élémentaire.
La conventionalité
Le caractère collectif et groupal des processus secondaires n’est pas formellement souligné par S. Freud dans le chapitre VII de l’interprétation des rêves ni en 1915. Cependant, il est implicite au constat d’une secondarité qui utilise l’appareil de langage de manière prévalente et donc la conventionalité qui le traverse. La représentation de mot, ou mieux l’appareil de langage (notion qui au-delà du simple mot reconnaît l’importance de l’organisation pragmatique de la discursivité, la stylistique, la prosodie, etc.) n’est pas concevable sans l’organisation d’une conventionalité collectivement partagée.
Ce que Totem et Tabou va ajouter à cette première approche, est son caractère réciproque ; inversement, la conventionalité intersubjective confère un caractère secondarisé aux formations psychiques. Ainsi le Totem et les éléments fétichiques décrits dans le Mythe de la horde primitive sont « secondaires » parce que groupaux. L’histoire des civilisations montre à l’évidence que le caractère « secondaire » d’un processus — reconnu comme « secondaire » à une époque donnée — n’est pas un caractère intrinsèque, par exemple l’analogie, que nous retenons volontiers maintenant du côté des logiques de l’Ics, donc dans le champ du primaire, a pu servir de base de référence à toute une pensée collectivement partagée comme fondement de la pensée scientifique. (Cf. par exemple, le Traité des signatures de Grollius et le développement des sciences de la vie et de la nature aux XVIe-XVIIe siècles).
Nous complèterons tout à l’heure ces remarques sur la conventionalité du « secondaire », dans notre réflexion sur les opérateurs négatifs structuraux de l’opposition primaire/secondaire.
Inversement, le « primaire » aurait un caractère idiosyncrasique comme la particularité des figures du rêve d’un sujet donné l’indique assez. Pas moyen d’interpréter ou de comprendre les éléments oniriques sans référence aux associations particulières du rêveur qui renvoient singulièrement aux particularités de sa vie psychique actuelle et à celles de son histoire.
Cependant, dès l’interprétation des rêves, cette stricte idiosyncrasie est menacée par l’existence de rêves « typiques »[8]. Ceux-ci interprétables indépendamment des associations spécifiques du rêveur — absentes souligne S. Freud la plupart du temps — semblent obéir à une forme partagée collectivement — c’est du moins ce que S. Freud semble indiquer; je ne me prononce pas ici sur la pertinence de cette analyse mais sur sa présence dans la théorie du primaire. Il existe par ailleurs, même au sein de rêves ordinaires, des symboles « tout faits » qui eux aussi peuvent s’interpréter sans spécificité associative (le parapluie, le chapeau, etc.). Ce qui s’interprète « tout seul », sans association présente nécessairement un caractère conventionnel. Ceci plaide toujours pour conférer à certains processus du « primaire » un mode d’organisation issue de la « secondarité » de l’enfance, donc liée et symbolique, issue de modalité primaire de l’intersubjectivité.
La Négativité
La discrimination primaire/secondaire produite par la négation doit retenir maintenant notre attention, elle est de fondement structural dans l’organisation de la métapsychologie freudienne, comme l’ensemble des travaux actuels sur le négatif, et la négativité le souligne assez[9]. Elle commende la question de la symbolisation c’est à dire de ce qui est et n’est pas identique à soi.
En 1900, S. Freud se réfère principalement au concept de la négation pour fonder les rapports d’exclusion réciproque du « primaire » et du « secondaire ». Le principe de non-contradiction, qui paraît être une caractéristique de la secondarité des processus, souligne l’incompatibilité du maintien, sans autre forme de procès, de deux énoncés simultanés et antinomiques. Cependant le symbole suppose que la chose-symbolique soit et ne soit pas identique à elle-même et ceci pas seulement parce que le symbole aurait quelque excédent, mais parce que l’opération de négation est consubstantielle au processus de séparation/réunion qui le constitue. Par la suite, le registre des formes du négatif s’est considérablement élargi dans la pensée de S. Freud puis dans celle de nos contemporains.
A la négation sont venus s’ajouter la dénégation, le déni, le désaveu, la forclusion, l’effacement, l’excorporation, le clivage, etc., autant de formes qui fixent localement ou de manière plus vaste des modes de fonctionnement psychique et des types d’opposition topiques, économiques et dynamiques différents. Ce qui compte n’est plus seulement qu’une représentation psychique ou une motion pulsionnelle soit exclue/inclue ailleurs, mais la manière dont s’opère cette exclusion de la secondarité, ainsi que le mode de rapport à ce qui est exclu, négativé.
Après 1923, on ne peut plus dire l' »Inconscient » non seulement parce qu’il y en a plus d’un mais aussi parce que son mode de « présence » varie en fonction du processus de négativité qui le constitue. Il faudrait alors préciser inconscient au sens du refoulement, ou du suspens, ou au sens du clivage, ou au sens du déni, etc. Les opérateurs de la négativité secondaire génèrent des variations du mode de traitement de ce qu’ils négativent, génèrent des types de processus primaires différents et des modes de « retour » de l’exclu différents aussi.
Ces formes différentes de la négativité sont aussi à la base de certaines formes de conventionalité dans/par le négatif que la vie des individus en société, en groupes, en famille ou même dans le colloque singulier de la cure met en évidence. Le lien conventionnel, le contrat narcissique (P Aulagner) intersubjectif peut s’effectuer sur la base fixée d’un pacte dénégatif (R Kaës), d’une communauté de déni (M Fain), d’une forclusion commune[10], d’un clivage partagé[11], etc. qui structurent des modes de « secondarité » paradoxalement idiosyncrasique, c’est là tout le problème des « folies privées » (A Green) à deux (M Little) ou à plusieurs.
L’ensemble de cette argumentation me semble plaider largement en faveur de l’idée que l’opposition primaire/secondaire que S. Freud élabore en 1900, n’est qu’un cas particulier d’un modèle plus général de cette opposition structurale. A partir de la différenciation du sujet et de l’objet, de la découverte subjective de l’extériorité de l’objet une opposition primaire/secondaire s’instaure puis se maintient sous différentes formes. Son organisation minimum me semble reposer sur la combinaison de quatre grands opérateurs généraux, dont les formes processuelles varient dans le temps et selon les registres de fonctionnement.
La « secondarité » des processus se caractériserait d’une manière générale par :
— l’existence d’une modalité de liaison représentative,
— un type d’organisation conventionnelle intersubjective,
— un type de temporalité,
— un type de négativité.
Ces quatre discriminants forment une matrice dont les éléments sont solidaires entre eux et se co-déterminent. La levée localisée de l’un d’entre eux ouvre un processus paradoxal caractéristique d’une forme de la transitionnalité qui repose donc sur la levée partielle d’un des critères de la discrimination structurale, les autres étant maintenus.
Ainsi, par exemple, ce que l’on appelle la régression, (en particulier les régressions topiques, temporelles et formelles et qu’il faut différencier précisément des désorganisations ou des désintégrations et des désintrications psychiques), est un processus qui repose sur la levée ou plutôt le suspens de l’un des opérateurs structuraux, d’où son importance essentielle dans la régulation intersystémique.
[1] A l’inverse de la métaphysique, la métapsychologie ne se prononce pas sur les causes premières ou ultimes.
[2] R. Diatkine, M. Fain, W. Bion, etc.
[3]L’insistance mise par A Green sur le « représentant psychique de la pulsion », forme préalable à la distinction affect/représentation me semble aller dans ce sens.
[4] Il va de soi qu’à partir de 1823 Préconscient et moi ne peuvent être simplement superposés. Mais ceci est présent chez S. Freud dès la réintroduction du concept du moi vers 1907.
[5]Sur ces modes de liaison non-symboliques cf. R Roussillon Agonie, clivage, symbolisation 1999, PUF.
[6]Cf. R Kaës, L’idéologie, Dunod.
[7]La complexification de notre conception de l’histoire du développement de l’introjection de l’affect et de la pulsion amènerait en fait à décrire un triphasisme voire un quadriphasisme, il y a le temps préhistorique et présubjectif, l’après-coup de celui-ci au sein de la sexualité infantile, le second après-coup de l’adolescence et peut-être, in fine l’après-coup actuel observable dans le transfert ou les différentes crises des temps adultes.
[8]La clinique moderne ajouterait sans doute ici les pictogrammes décrits par P Aulagnier, ou les signifiants formels de D Anzieu, les signifiants de démarcation de G Rosolato etc.
[9] En particulier A. Green, J. Guillaumin, R Roussillon, B. Rosenberg, P. Fedida, R. Kaës…
[10]Selon des termes que j’ai proposé.
[11]Ibidem.